Du 8 au 24 septembre 2023, la dix-neuvième édition du festival Village de Cirque se déploie sur la Pelouse de Reuilly à Paris, sous chapiteau, en plein air et dans les bois. Durant trois semaines, onze compagnies invitées par la coopérative De Rue et De Cirque – 2r2c célèbrent le cirque sous toutes ses formes et nous invitent à de sensibles désarmements.
Focus sur le spectacle événement de ce premier week-end de représentations : Le Premier Artifice. Fête sensible et éloge de la liberté, cette première création de la troupe du Cirque Queer transporte et bouleverse.

Les performeur·euses sont les émissaires d’une joie follement communicative, les « créatures » autoproclamées d’un freak show royal.

Le chapiteau du Cirque Queer est un endroit protégé du monde, où l’on se sent libre d’être et d’aimer qui l’on veut. Pour LePremier Artifice, sept performeur·euses nous y accueillent en grande pompe, costumé·es de la tête aux pieds : ils et elles sont les émissaires d’une joie follement communicative, les « créatures » autoproclamées d’un freak show royal. On les suit dans un prologue (mouvementé) accordéonesque et pailleté, très curieux·ses de découvrir ce qui se prépare.
Et nous sommes loin d’être déçu·es : lancer de couteaux, trapèze, sangles aériennes, contorsion, acrobaties sur planche, effeuillage burlesque, ou encore funambulisme sur bouteilles en verre… Des numéros d’une grande qualité s’enchaînent, mais sans jamais céder à la vacuité de la seule prouesse. Les acrobaties sont toujours signifiantes : elles racontent des corps en recherche (ou en refus) d’équilibre, elles parodient leur propre performativité et questionnent avec finesse nos regards de spectateur·rices.

Le temps d’écouter

© Loup Romer

Les artistes du Cirque Queer sont là, avant tout, pour nous raconter leurs récits, leurs vécus et leurs identités.

La parole a une place tout aussi importante que le corps : il y a des voix qui disent la fierté d’être rentré·e seul·e chez soi le soir, qui racontent l’avortement qui fait louper la fête, qui rappellent le désir de soi avant celui des autres… Ces récits sont ceux des interprètes et de tous·tes les autres, les discours de celles et ceux qui subissent tous les jours des violences. Pas toujours faciles à articuler et à faire entendre dans le monde réel, ils trouvent ici une existence et un écho essentiels. Les artistes du Cirque Queer sont là, avant tout, pour nous raconter leurs récits, leurs vécus et leurs identités.
Ce besoin d’expression se traduit également par la présence continue de la musique live, interprétée par Jenny Victoire Charreton aux claviers, à la basse et au saxophone, mais aussi par certain·es des interprètes qui rejoignent la symphonie lorsqu’ils et elles ne sont pas en pleines acrobaties (on pense notamment au sublime et clownesque solo de batterie de l’acrobate Andrea Vergara). Les sonorités électros se déploient sous le chapiteau et intensifient la force des tableaux, pour nous emmener dans des endroits de jeu et de liberté qui dépassent toujours leurs propres limites.

Mesdames, messieurs, et surtout les autres

À cette fête, la violence n’est pas invitée : elle est refoulée à l’entrée du chapiteau. Tout le monde peut venir y panser ses plaies : les paillettes, popcorns et fleurs par centaines sont autant de remèdes, un « trop-plein » de poésie qui vient compenser toute la dureté du monde extérieur. Les sept performeur·euses s’étalent et s’ébrouent au creux de cette scénographie-refuge, un paradis qu’ils et elles se seraient construit en secret.

C’est un monde où tout est prétexte à s’évader et où le genre devient matériau.

C’est un monde où tout est prétexte à s’évader : le genre devient matériau, costume que l’on choisit de porter pour se plaire à soi plutôt qu’aux autres. L’identité n’a plus d’importance : elle est ce que l’on choisit d’en faire et d’en montrer, comme nous le rappelle avec prestance Mona Doll Guyard dans un numéro d’effeuillage étourdissant. Dans l’exploration de cette liberté, chacun·e des interprètes s’empare de ce qui lui plaît et nous livre un autoportrait bouleversant.

Le Cirque Queer trouve, avec ce Premier Artifice, un équilibre très intelligent entre provocation et délicatesse, entre extravagance, parodie et sincérité : ils et elles nous prouvent surtout que toutes ces esthétiques sont formidablement compatibles lorsqu’elles se déploient en toute liberté au sein d’une « queernessacrobatique, sensible et populaire ».

  • Le Premier Artifice, conçu et interprété par le Cirque Queer (Marthe, Elvis Gwenn Buczkowski, Andrea Vergara, Simon Rius, Mona Guyard, Lia Plissot, Jenny Victoire Charreton). À retrouver du 24 au 26 octobre 2023 au Festival CIRCA (Auch).
  • Le Festival Village de Cirque bat son plein jusqu’au 24 septembre à Paris : désarmements sensibles encore possibles en compagnie de Léna d’Azy, Juglair, Le Cirque Exalté, la cie Inéluctable, Liam Lelarge et Kim Marro, La Fauve, Satchie Noro et Sophia Perez.

Crédit photo : © Loup Romer