Jusqu’au 4 janvier 2016, le musée du Louvre vous parle de demain. Avec Une brève histoire de l’avenir, l’institution souhaite faire « dialoguer des œuvres insignes du passé avec des créations contemporaines afin de retracer au présent un récit du passé susceptible d’éclairer notre regard sur l’avenir »*. Limpide. Peut-on disposer d’un patrimoine d’oeuvres comme de cartes et prédire l’art de demain?
L’exposition inaugurée le 24 septembre s’inspire et tire son titre d’un livre de Jacques Attali- crédité comme « consultant scientifique » de l’évènement- publié en 2006 chez Fayard (et réédité en août 2015).
Le titre à lui seul mérite qu’on s’y attarde. « Une brève histoire de l’avenir » évoque d’abord Une brève histoire du temps, bestseller et traité d’astrophysique écrit par Stephen Hawking en 1988. L’art et l’histoire de l’art seraient donc, comme l’astrophysique, des sciences, c’est à dire des phénomènes réglés par des lois et de ce fait prévisibles? La contradiction même du titre n’aura échappé à personne, l’avenir serait joué d’avance et prêt à être raconté. L’avenir serait déjà de l’histoire ancienne. Le Louvre se mêle non seulement de l’art contemporain mais propose aussi de nous éclairer sur ce qui s’annonce après la période contemporaine, en la mettant en relation avec ses propres réserves d’oeuvres.
Enfin le coup de grâce : cette histoire du futur vous sera racontée, mais brièvement. Accrochez vos ceintures, ça va secouer.
La raison dans l’Histoire
L’exposition s’ouvre sur ces mots de Jacques Attali: « Pour comprendre ce que peut être l’avenir, il me faut raconter à grands traits l’histoire du passé. On verra qu’il est traversé par des invariants et qu’il existe comme une structure de l’Histoire permettant de prévoir l’organisation des décennies à venir ». Ces invariants vont former les différentes salles de l’exposition, avec des thèmes tels que: l’ordonnancement du monde (création des villes), les instruments de l’échange (débuts du commerce), la transmission des savoirs, la chute des géants…
Des thèmes qui occasionnent des rapprochements démentiels. On peut ainsi observer, sous l’autorité du même texte intitulé « Paradis naturels et artificiels », une oeuvre de Jeff Koons (Gazing Ball (gilded bikini), 2012-2015) mise à côté d’une fresque en cinq tableaux de Thomas Cole, peintre américain du XIXème siècle, représentant la chute des cultures antiques. Thomas Cole défend une vision cyclique de l’histoire avec ces cinq toiles intitulées L’État sauvage, L’État arcadien, L’Apogée, La Destruction, La Désolation. Etait-ce suffisant pour rapprocher cette peinture influencée par le romantisme et le naturalisme d’une reproduction de sculpture antique portant un bikini doré et se penchant, il est vrai ,vers une balle bleue en aluminium- symbole évident de circularité? A trop vouloir montrer que l’histoire a un sens, qu’elle ne fait que se répéter, toute la scénographie apparaît franchement insensée- voire hallucinée (comme ces premières villes étrusques qui renverraient à une toile de Fernand Léger représentant des ouvriers dans la France de 1951…).
Cette mise en parallèle constante d’oeuvres si lointaines nous ferait presque oublier que l’oeuvre d’art renvoie en elle-même à un Autre. Une oeuvre est déjà une position pour ou contre une époque donnée, un héritage culturel revendiqué, honni ou délibérément absent. Une matière historique, sociale, humaine. Bien au-delà de la confusion qui règne chez le spectateur lors de son parcours, percuter les époques, les styles et les individus que sont les artistes nie cette profondeur essentielle. Peut-être que pour défendre le propos de l’exposition, il n’y avait nul besoin d’effectuer ces rapprochements. Seulement d’illustrer par une oeuvre révélatrice, choisie.
C’est enfin le lien presque identitaire qui est fait entre l’Histoire et l’art qui est gênant. Pour enfoncer des portes ouvertes, l’art est un regard porté sur le monde et son histoire. La loi de l’art est justement sa variabilité, c’est un lieu d’opinion et d’assemblage du réel. Quant à lui, l’historien vise bien entendu une objectivité. La mise en parallèle de tous ces siècles de création, est-ce dire que l’art se répète tout autant que l’histoire? La preuve du contraire semble pourtant brillamment démontrée par le choc visuel qui opère à chaque rapprochement malencontreux.
Une histoire sans avenir
De salle en salle, toujours la même question: à quoi est-ce que l’on assiste ? Une stricte adaptation muséale du livre de Jacques Attali- l’art et les oeuvres exposées ne seraient alors qu’un prétexte – ? Une tentative de prédire les années à venir de manière globale? Une tentative de prédire les formes artistiques de demain?
Mais dans ce cas, pourquoi s’ancrer si fermement dans le passé, parler si peu du présent et presque oublier le futur? En effet, les réserves du Louvre sont bien exploitées mais il y a de grandes chances que cet art ancien, dont l’exposition ne donne finalement qu’un bref panorama, le public soit allé l’admirer dans les autres salles du Louvre. Quand il est question d’avenir, il est normal d’attendre de voir des artistes vivants, or l’art contemporain est bien moins mis en valeur au cours de l’exposition.
Pour parler de l’avenir du monde et de celui de l’art, il aurait pourtant été intéressant de faire aussi appel à de jeunes artistes.
Reste le plaisir de découvrir quelques artistes doués de la scène contemporaine et encore peu connus en France (Tomás Saraceno, Chéri Samba, Ai Weiwei), mais ce n’est pas suffisant. Il faut noter que beaucoup d’entre eux ont un certain âge et sont établis depuis des dizaines d’années dans le monde de l’art. Pour parler de l’avenir du monde et de celui de l’art, il aurait pourtant été intéressant de faire aussi appel à de jeunes artistes. Les artistes d’aujourd’hui qui ont vingt, trente, quarante ans, sont eux, à proprement parler, de brèves histoires de l’avenir.
Ceci étant dit
Le président-directeur du Louvre Jean-Pierre Martinez a récemment rendu un rapport à François Hollande dans lequel il met en avant cinquante propositions susceptibles de mieux protéger le patrimoine de l’humanité. Vous le savez, depuis plusieurs mois Daech détruit systématiquement des monuments préislamiques syriens et irakiens. Parce qu’un musée est un lieu de culture, d’histoire, un lieu rassembleur, c’est une cible concrète. Ne laissons personne nous dire quoi penser, nous dissuader d’aller voir une exposition, quelle qu’elle soit. Qu’elle ne nous plaise pas est une chose (faites-le savoir), ne pas y aller est une autre. Tous au musée.
*Citation extraite du communiqué de presse de l’exposition
- Une brève histoire de l’avenir, Du 24 septembre au 4 janvier 2016, Musée du Louvre, Hall Napoléon.
C. P