Comment peut-on encore aimer les hommes quand ils ont été trop loin ? C’est la question que pose Maria Pourchet dans Western, roman brillant et courageux, qui décrit la complexité des sentiments et les mécanismes de la relation amoureuse. 

Un jour, j’ai lu Feu. Dans la foulée, j’ai tout lu de Maria Pourchet. Evidemment, je me suis précipitée pour dévorer son tout dernier roman. Western a paru fin août au éditions Stock, un nouvel ovni au cœur de cette rentrée littéraire. Un nouveau coup de maître. 

Avant même de vous parler de l’histoire de Western, le dernier roman de Maria Pourchet, il faudrait vous dire combien son écriture, son style – identifiable entre mille par son flow lacéré, inimitable – vaut à lui seul qu’ on s’y plonge. Vous n’en ressortirez pas de sitôt. En tous cas pas indemne, car Maria Pourchet est l’une des voix de cette génération, urgente, sur le fil, décapante. Implacable. Nous y reviendrons. 

Western c’est l’histoire d’une femme, Aurore ; et celle d’un homme : Alexis.

Aurore a la quarantaine et elle élève seule son fils, Cosma. Elle est chef de projet « a non-operationnal bullshit job ». Aurore est lessivée par la vie, par les hommes qui l’ont laissée exsangue. À bout de forces, elle décide de tout plaquer, pour retourner dans la maison maternelle – vide depuis que sa mère est morte – dans les Causses du Lot (là où Maria Pourchet a écrit tous ses romans, d’ailleurs).

Tout réussit à Alexis Zagner. Il est l’acteur du moment, une figure incontournable du théâtre. Il incarne d’ailleurs Dom Juan dans la pièce éponyme. Alexis Zagner est clairement ce que l’on appelle une star : il brûle les planches. Pourtant la coqueluche de ses dames le sent : le vent risque de tourner en sa défaveur ; sa situation risque fort, d’un moment à l’autre, de tourner au vinaigre. Chloé, une jeune recrue prometteuse –surtout son ancienne maîtresse qu’il a abandonnée – l’accuse de violences morales. Parce qu’elle n’est pas écoutée par les forces de l’ordre, complètement à bout de forces, elle finit par se donner la mort. Ce n’est qu’une question d’heure avant que le lien soit fait entre leur histoire et son suicide. Plutôt que d’affronter le déshonneur, il disparait. Comme ça : il l’a décidé, il ne reviendra pas.

Aurore et Alexis : deux âmes esseulées au bord du point de rupture qui vont se télescoper.

Nouveau western, moderne

« J’entends par western un endroit de l’existence où l’on va jouer sa vie sur une décision, avec ou sans désinvolture, parce qu’il n’y a plus d’autre sens à l’existence que l’arbitraire. » 

Voilà où en sont nos deux personnages au moment où s’ouvre le roman. À jouer à la roulette russe avec leur vie, un peu celle des autres aussi : n’est-ce pas Alexis ? « Quelque chose précède toujours le western : une logique violemment personnelle et dérisoire, vouée à en finir, faite d’ordre et de ville, de liens et d’habitudes. Et de dettes. »

Et voilà notre Dom Juan en carton qui se retrouve en cavale. Direction le Lot, où il avait acheté il y a quelques années – grand bien lui en a fait – une maison en viager. La propriétaire est morte il y a peu : une aubaine ! Qui pourrait donc imaginer le grand Alexis Zagner perdu dans une maison abandonnée en pleine diagonale du vide ? Personne, peut-être, sauf Aurore.

Car la maison qu’Alexis a achetée une bouchée de pain est celle de sa mère, dont Aurore croit avoir hérité. Les voilà donc devenus deux colocataires qui tentent de s’apprivoiser. L’amour, dans tout ce chaos ? Évidemment.

« Aimerais-tu un homme qui a peur ? » 

Aimerais-tu un homme tout court ? 

Car c’est bien, en substance, la question que pose Western, roman de l’ère post #MeToo par excellence. Comment, après ÇA, on peut encore les aimer, les hommes ? Western nous emmène en terrain miné, celui de la fameuse zone grise de ces mecs qui ont merdé. Le savaient-ils seulement ? Ne sont -ils plus aimables pour autant, je veux dire au sens littéral du terme ? Comment peut-on aimer les hommes quand ils ont été trop loin ?

On en a tous, autour de nous, des types, des copains, des exs qui ont dépassé les bornes, au moins une fois. Peut-être sans faire exprès, peut-être parce qu’ils n’ont pas voulu l’admettre. Alors, on fait quoi dans ce cas-là ? On les expose et on les brûle sur la place publique ? Tout en continuant à les aimer en cachette ? Ou alors on se tait et on les supporte ? 

Parce qu’évidemment, Aurore tombe amoureuse d’Alexis. Ça ne serait pas drôle, sinon. Et même que l’amour perdure lorsqu’elle découvre le pot aux roses. Est-ce que ça fait d’elle une complice ? Et la sonorité alors ? Encore une zone grise.

Alexis est un salaud. Un Dom Juan qui détruit tout ce qu’il touche, parce qu’il en fait des jouets avec lesquels il s’amuse et qu’il bazarde une fois qu’il s’en est lassé. Comme Chloé. Pourtant Maria Pourchet en arrive à nous faire aimer – ou tout du moins nous attendrir devant – ce Dom Juan de pacotille, cet antihéros égoïste et narcissique, blindé de contradictions, avec ses failles – immenses –  et son ego surdimensionné qui se shoote au pouvoir que lui permet sa fonction. Peut-on le lui reprocher quand l’actualité tout entière n’est faite que de cette soif de pouvoir, de triomphe et de possession ? L’être humain fonctionne en miroir : c’est dans l’autre qu’on remarque ce qui ne marche pas chez soi. Alors, bien évidemment, il a peur, Alexis. Aurore aussi. Elle a bien assez morflé avec les hommes. Et pourtant.

Western n’est pas un roman de guerre ni un pamphlet contre les hommes – ces salauds ! Au contraire, c’est un roman d’amour, en ce sens où Maria Pourchet – avec sa casquette d’ex-sociologue ultra affûtée – tente de démêler ce qui ne peut l’être : la complexité des sentiments. Les mécanismes de la relation amoureuse. 

Le nouveau roman de Maria Pourchet invite le lecteur à adopter une position différente, dans l’œil du cyclone. De l’extérieur, on a tôt fait de juger ; à l’intérieur les choses ont toujours une texture et une nuance différentes. Mais qui détient la vérité ? 

Western est un roman courageux et brillant qui pose sûrement les questions qui dérangent, qui met le doigt dans la plaie ouverte, suintante, là où ça fait mal. À chacun d’y régler ses comptes avec sa conscience, ce qu’on peut encore tolérer. Ou non. Le nouveau roman de Maria Pourchet invite le lecteur à adopter une position différente, dans l’œil du cyclone. De l’extérieur, on a tôt fait de juger ; à l’intérieur les choses ont toujours une texture et une nuance différentes. Mais qui détient la vérité ? 

De sa plume drôle, nervurée et survoltée, Maria Pourchet nous emporte dans un tourbillon pour faire un pas de côté. Elle tire les ficelles de ces deux protagonistes égarés, les met en scène, leur donne une voix, sans oublier les didascalies. Le style de Maria Pourchet a cela de savoureux qu’elle prend souvent de la distance pour s’autoriser des commentaires. De narratrice, elle se métamorphose en deus ex machina et nous guide dans les méandres un peu fous de cette histoire, mettant à l’épreuve nos sentiments, nos croyances et nos préjugés. D’ailleurs : qui sommes-nous, vraiment, pour juger ? Un roman virtuose et fascinant. Résolument un coup de maître.

  • Western, Maria Pourchet, Stock, 2023

Crédit photo : Maria Pourchet © Richard Dumas