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Découvrez Aurélien au-delà de sa première phrase - Zone Critique
Découvrez Aurélien au-delà de sa première phrase
Aragon
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Tout le monde connaît la première phrase d’Aurélien : “La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide.” Le reste vaut pourtant le détour : soirées et beuveries dans le Paris de la Belle Époque, égarements amoureux, rencontres à la piscine, références à l’Inconnue de la Seine…  

En résumé

Aurélien, c’est l’histoire d’un amour impossible entre un jeune bourgeois rentier abîmé par la Grande Guerre et Bérénice, une jeune provinciale qui cherche à conquérir son indépendance. C’est aussi l’histoire de toute une génération sacrifiée lors de la Première Guerre mondiale qui cherche à oublier ses blessures en se plongeant dans la folie des années 1920, sans penser aux hostilités qui reprendront la décennie suivante. C’est encore l’histoire d’un jeune homme à la vie médiocre qui cherche un sens à son existence et s’éprend d’une jeune fille au nom d’héroïne de tragédie pour étancher sa soif d’absolu.

Pourquoi on aime
1Paradoxalement, pour son grand nombre de pages : une fois qu’on a ouvert le livre et plongé dans la tête d’Aurélien, il est difficile d’en sortir tant l’histoire est narrée dans une écriture à la fois très fine et passionnante ; on est tenu en haleine jusqu’à la dernière page !
2Pour l’écriture originale et toute nouvelle d’Aragon qui se sert d’un kaléidoscope de points de vue différents pour narrer son histoire, passant du « je » au « il » sans qu’on s’en rende compte.
3Pour la petite histoire d’Aurélien qui rencontre la Grande Histoire, tout comme ses idéaux et son désir d’absolu se confrontent à la réalité qui est alors celle de la guerre et du temps qui passe. Ces rencontres et confrontations donnent lieu à de très belles pages où la philosophie se mêle à la poésie.
4Pour le narrateur qui se moque tendrement de son personnage et de ses idéaux, tout en lui témoignant une franche compassion.
5Pour l’histoire d’amour entre Bérénice et Aurélien qui, loin d’être une rêverie un peu niaise, est plutôt une histoire sur l’amour et sur les difficultés d’aimer et invite inévitablement le lecteur à se demander ce qu’est véritablement l’amour.
L'extrait

« La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. Elle lui déplut, enfin. Il n’aima pas comment elle était habillée. Une étoffe qu’il n’aurait pas choisie. Il avait des idées sur les étoffes. Une étoffe qu’il avait vue sur plusieurs femmes. Cela lui fit mal augurer de celle-ci qui portait un nom de princesse d’Orient sans avoir l’air de se considérer dans l’obligation d’avoir du goût. Ses cheveux étaient ternes ce jour-là, mal tenus. Les cheveux coupés, ça demande des soins constants. Aurélien n’aurait pas pu dire si elle était blonde ou brune. Il l’avait mal regardée. Il lui en demeurait une impression vague, générale, d’ennui et d’irritation. Il se demanda même pourquoi. C’était disproportionné. Plutôt petite, pâle, je crois… Qu’elle se fût appelée Jeanne ou Marie, il n’y aurait pas repensé, après coup. Mais Bérénice. Drôle de superstition. Voilà bien ce qui l’irritait. Il y avait un vers de Racine que ça lui remettait dans la tête, un vers qui l’avait hanté pendant la guerre, dans les tranchées, et plus tard démobilisé. Un vers qu’il ne trouvait même pas un beau vers, ou enfin dont la beauté lui semblait douteuse, inexplicable, mais qui l’avait obsédé, qui l’obsédait encore :Je demeurai longtemps errant dans Césarée…
En général, les vers, lui… Mais celui-ci lui revenait et revenait. Pourquoi ? c’est ce qu’il ne s’expliquait pas. Tout à fait indépendamment de l’histoire de Bérénice… l’autre, la vraie… D’ailleurs il ne se rappelait que dans ses grandes lignes cette romance, cette scie. Brune alors, la Bérénice de la tragédie. Césarée, c’est du côté d’Antioche, de Beyrouth. Territoire sous mandat. Assez moricaude, même, des bracelets en veux-tu en voilà, et des tas de chichis, de voiles. Césarée… un beau nom pour une ville. Ou pour une femme. Un beau nom en tout cas. Césarée… Je demeurai longtemps… je deviens gâteux. Impossible de se souvenir : comment s’appelait-il, le type qui disait ça, une espèce de grand bougre ravagé, mélancolique, flemmard, avec des yeux de charbon, la malaria… qui avait attendu pour se déclarer que Bérénice fût sur le point de se mettre en ménage, à Rome, avec un bellâtre potelé, ayant l’air d’un marchand de tissus qui fait l’article, à la manière dont il portait la toge. Tite. Sans rire. Tite. Je demeurai longtemps errant dans Césarée… »

Un article par Charlotte Yon, le 22 février 2024
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Aragon
Carabin, poète et romancier

Louis Aragon (1897-1982) est le fils naturel de Louis Andrieux, un homme politique fameux de l’époque, qui l’a longtemps tenu caché et ne l’a jamais reconnu. Nombre des écrits de l’auteur portent la trace de cette blessure. En 14-18, il est confronté à l’horreur de la guerre en tant que médecin sur le front. Il intègre ensuite des cercles dada et surréalistes. Avec Breton et Eluard, il devient membre du Parti Communiste français. En 1928, il rencontre Elsa Triolet, sa muse pour la vie. La défaite de 1940 marque un tournant dans sa poésie qui devient réinterprétation de la tradition.

Charlotte Yon
Rédactrice

Étudiante en histoire, mais passionnée plus largement par la lecture et le monde de la culture.

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