Le Chemin des estives est une sorte de récit à la Sylvain Tesson, pourrait-on dire au premier regard. Cela n’est pas tout à fait faux : Charles Wright, trente-sept ans, part pour sept cent kilomètres de marche à travers le Massif Central sans un sou en poche. Mais pour lui, une telle aventure est inédite et cette randonnée est un chemin aussi bien intérieur qu’extérieur. Dans son livre, paru en 2021 aux éditions Flammarion, il retrace son parcours ainsi que les réflexions et les rencontres qui en sont nées.

Charles Wright
Charles Wright

Charles Wright et son compagnon de route, Benoît Parsac, doivent en tant que novices jésuites parcourir les montagnes pendant trente jours, sobrement équipés et sans un sou en poche, quémandant le gîte et le couvert dans les villes et villages qu’ils traversent. Pour Charles, ce mois de randonnée dans la diagonale du vide est une occasion de fuir le vacarme du quotidien : « D’urgence, j’avais besoin de retrouver ce qu’il y a d’immense, d’éternel, de divin en chacun de nous, et m’immerger dans des paysages qui donnent l’éveil à ces parts profondes de l’homme. ».

Plus encore, il espère ce voyage comme une étape décisive de sa vie. À trente-sept ans, il a essayé de nombreuses professions, a tenté de rejoindre différents ordres religieux sans parvenir à fixer sa place dans une voie précise et attend de ce voyage qu’il inspire une direction à son existence « zigzagante » et lui apporte la paix. « Au Massif central, je demandais d’adoucir par le spectacle de ses beautés l’intensité de ma peine. » L’écriture trace ainsi un aller-retour incessant entre paysage extérieur et paysage intérieur, le premier finissant par changer le second au long des pages qui se tournent et des kilomètres parcourus.

Une écriture légère et inspirée

Le récit, formé des notes glanées consciencieusement le long de la route, progresse de rencontres en rencontres, de réflexions en réflexions, de paysages en paysages. Le lecteur suit le marcheur dans sa progression, qui convoque de nombreuses références comme autant de compagnons de route, parmi lesquels Arthur Rimbaud et Charles de Foucauld. La légèreté de l’écriture de Wright rompt la monotonie à laquelle on aurait pu s’attendre. L’écrivain nous fait voyager avec lui au moyen d’une plume agréablement poétique :«  À la frontière de la Charente et de la Dordogne, les campagnes que je traverse sont pleines de sérénité et d’une sorte de majesté tranquille, comme des toiles de maîtres flamands. » Les descriptions ne se perdent pas en longueur et les envolées lyriques les plus fastueuses sont souvent coupées par des sentences d’auto-dérision qui nous rapprochent du narrateur. 

Une respiration

Bien que très personnelles, les réflexions de l’auteur touchent souvent à l’universel et peuvent rejoindre le lecteur.

Charles Wright envisage bien ce mois de marche comme une respiration, un temps de repos qui l’éloigne du tumulte de la société contemporaine et de celui de ses propres pensées. « La vie errante est une ivresse, et j’envisage avec bonheur l’idée d’aller ainsi pendant un mois au hasard des routes, à travers la nature. J’ai l’impression d’avoir rejeté tous les soucis derrière moi et que, enfin, je vais me perdre de vue. » Ce repos, il le fait également goûter au lecteur : le livre donne l’impression de voyager avec lui, au même rythme puisque chaque jour de marche est recensé. Ce n’est pas un livre qui est tendu vers la fin dans un suspense permanent mais c’est un texte  reposant où c’est le cheminement qui importe. C’est sans doute une lecture à faire par petits bouts, quelques pages par jour mais guère plus, plutôt que d’une traite. Sans quoi on aura l’impression d’enchaîner les paysages et les rencontres de manière presque monotone. 

La marche des deux novices est ponctuée de rencontres et chaque rencontre est une découverte. Plusieurs fois, en mendiant son pain, le narrateur se dit pris d’une « sorte d’ébranlement devant la bonté dont un être humain est capable quand il se laisse toucher par le désarroi d’un semblable ». En donnant, les cœurs s’ouvrent et se confient aux deux marcheurs qui récoltent les noms de leurs bienfaiteurs. 

Le Chemin des estives est ainsi un livre spirituel qui évoque l’âme. En découvrant la sienne et celles des personnes rencontrées au bord de la route, Charles Wright parle de l’âme humaine en général. Et, bien que très personnelles, les réflexions de l’auteur touchent souvent à l’universel et peuvent rejoindre le lecteur.

  • Charles Wright, Le Chemin des estives, Flammarion, 2021.

Crédit photo : Charles Wright © Joseph Melin