Le ballon rond y est mythique – droit au but, disent-ils –, le rap y est une tradition, le port est légendaire. Mais pour le cinéma, Marseille est surtout le théâtre de l’action, des fusillades et des courses-poursuites virevoltantes. Retour sur une ville que le 7e art a souvent transformé en terrain de jeu, parfois jusqu’à la dénaturer.

En 2021, Bac Nord voit le jour au Festival de Cannes. Sur les écrans de la Croisette, trois flics de la BAC déambulent dans les quartiers Nord de Marseille en quête d’un « plan stup’ » ; mission qui a visiblement tendance à les amuser, à en voir le sourire de Yassine (Karim Leklou), Antoine (François Civil) et Gregory (Gilles Lellouche). Ce dernier, agacé de subir tout un tas d’insultes à chaque « descente » dans les quartiers, décide de démanteler l’ensemble du réseau, le tout avec quelques bavures.

À Cannes, les critiques ne tardent pas. Lors de la conférence de presse du lendemain, le journaliste irlandais Fiachra Gibbons lance : « On est dans une année d’élection. Moi, j’ai vu ça avec l’œil d’un étranger et je me dis: peut-être que je vais voter Le Pen après ça ». Avec cette déclaration, il prête au long-métrage une véritable influence sur les imaginaires et les actions des spectateurs ; directement après l’achat du ticket de ciné, c’est Le Pen qu’on glisse dans l’urne. Est-ce à dire que BAC Nord est un film puissant ? On peut en douter, mais les réappropriations politiques par l’extrême-droite (Zemmour et Le Pen en tête) n’ont, elles, pas tardé, oubliant que l’on n’a pas affaire à un documentaire, mais bien à une fiction inspirée d’une affaire réelle. Naïvement, Cédric Jimenez a été le premier à s’étonner à la fois de la polémique et de cette récupération. En témoigne la surprise du cinéaste lorsque son film fut projeté lors d’une soirée du syndicat policier Alliance. Alors, BAC Nord, film de droitard ou western urbain décontextualisé ? Voyons quels sont les éléments qui ont conduit à rendre un film aussi viriliste et au manichéisme aussi affirmé, trafiquant l’image de Marseille pour en faire un espace hanté par le mal, les dealers, le shit et les armes.

« Les fafs sont heureux, tout ce bruit fait leur jeu» (IAM)

Comme son titre le laissait présager, BAC Nord suit trois policiers : Yassine, Antoine et Gregory. C’est une des failles du film puisqu’en privant le spectateur de points de vue externes, Cédric Jimenez l’enferme dans une idée, une manière de penser unique. L’image des dealers cagoulés sur des scooters prime sur le personnage d’Amel, dont on ne connaît que très peu le récit, si ce n’est qu’elle vient des quartiers et qu’elle deale des renseignements aux trois baqueux contre quelques sachets de shit. Il en va de même pour les bavures policières ou le sadisme des trois policiers, gangrénés par l’idée de faire du « chiffre » et moins par celle d’aider la population, camouflés dans cette image sombre et néfaste des quartiers, jamais nuancée ni même amoindrie par d’autres personnages.

“Il est à croire que Marseille n’est faite que de bandits, de deals et de jeunes rebelles.”

De fait, ce discours convoque un certain manichéisme, dangereux principe syncrétique où d’un côté, nous aurions le mal – à savoir les jeunes cagoulés – et de l’autre le bien. C’est en distinguant les deux que BAC Nord emprisonne le spectateur dans son monde dogmatique. Comme l’a superbement dit le journaliste irlandais dont il était question quelques lignes plus tôt, un...