La foi fait parfois place au silence et au doute. Dans le creux de nos nuits ou dans un wagon de métro, comment accorder une juste place à nos interrogations spirituelles ? Dans un texte intime et brûlant, Daphné Tamage explore le mystère de nos âmes. 

À chaque nuit noire de l’âme (ma tendance naturelle les collectionne), avant même d’avoir épuisé la batterie de remèdes qui débouchent inexorablement sur le constat que, lasse et fatiguée, je n’ai d’autres choix que d’attendre que la vie se rétablisse d’elle-même, avant ce long chemin de patience, je me jette dans les églises. Ce que j’y trouve ? Froid, silence. Des bougies qui fondent dans l’obscurité. Quand je tombe – sur un banc, une chaise – à l’heure d’une liturgie, je peux sans y prendre part la suivre d’une oreille distraite. Le cérémonial a été appris dans l’enfance. Il me rassure parfois, et m’afflige souvent. Je m’en détache et m’approche, misérable, des saints en sculptures pour leur demander assistance. Ils soupirent en esprit : « Encore ce problème ? Encore cette peur ? N’en as-tu pas assez de te répéter, jeune fille ? » Même dans la honte et l’embarras (je suis généralement pleine de larmes, de mascara dégoulinant et de paillettes échouées des paupières aux joues), je trouve des ruses : « D’accord, je murmure le doigt levé, peut-être, mais la dernière fois la résolution du problème s’est faite sans explications, je ne l’ai pas vu venir, je n’ai pas eu le temps de comprendre la marche à suivre. Je viens vous annoncer que le chemin est à nouveau obstrué. Je ne me lamente pas, soyons clairs. Je vous demande comment faire pour m’en sortir toute seule, sans votre aide. Comment me passer de vous et prendre mes responsabilités ». 

Cette laborieuse tentative de dialogue avec l’invisible semblera puérile, mais Rainer Maria Rilke l’exerçait déjà avant moi : 

Toi, voisin Dieu, si bien des fois durant la longue nuit

je te dérange en cognant fort –

c’est que je t’entends à peine respirer

[…] J’écoute sans cesse. Fais un petit signe,
Je suis tout près.

Le livre de la vie monastique, Arfuyen, p.37.

Évidemment, j’ignore si l’on m’entend mieux dans une chapelle dédiée à Sainte Thérèse que dans une rame bondée de la ligne 6. Quant aux signes, je les interprète fort mal. Je voudrais croire que ma parole est arrivée à destinataire, quel qu’il soit, qu’un rayon de soleil est une réponse des cieux à ma requête (il l’est peut-être, ne soyons pas condescendants envers le presque rien). Or ma foi est bien souvent dégrafée de mon cœur, vacillante et imprécise, me rapprochant davantage de ceux qui affirment vivre sans que de ceux qui en témoignent, toutes cymbales levées. Il m’arrive de prier pour qu’elle se fortifie, se métamorphose, me gracie. Si ma foi était inébranlable, je pourrais affirmer, avec Rilke toujours, cette parole de feu : Je crois aux nuits. Je déclarerais l’ombre précieuse et nécessaire, puisque insécable de la lumière. Je pourrais dire, avec Etty Hillesum que « […] dès que je me montrai prête à les affronter, les épreuves se sont changées en beauté