Victor Jestin nous parle de La Chaleur, son premier roman fiévreux où la canicule devient décor et catalyseur d’un drame moral. À rebours des imaginaires estivaux insouciants, l’auteur explore les plis sombres de l’adolescence, les zones de torpeur où l’inaction devient décision, et la manière dont le corps, traversé par la chaleur, par la peur ou par le désir, précède toujours la pensée. Dans cet entretien, il revient sur ses influences, son rapport à l’écriture, et la tragédie douce-amère d’un été où personne ne regarde au bon endroit.

Jasmin Mandola : Certains écrivains, comme Genet dont tu t’inspires, ont une écriture très solaire malgré la noirceur des thèmes qu’ils abordent. Cela nous a fait penser à La Chaleur. Dirais-tu que tu as, toi aussi, une écriture chaude ?

Victor Jestin : J’aime un peu moins Genet qu’avant. Je lui préfère des auteurs plus froids, comme par exemple Emmanuel Bove, Fritz Zorn ou Georges Simenon. Je leur trouve un certain calme qui ne manque pas de nerfs, un sens à la fois de l’épure et de la densité. C’est dans ce sillage-là que j’ai envie d’écrire. C’est une affaire de tempérament. Il me semble que le travail d’écriture revient à se rapprocher progressivement de son tempérament, et donc à se comprendre, ce qui est long. 

Jasmin Mandola : Dans La Chaleur, la canicule agit comme un révélateur des comportements. Léonardobserve, hésite, reste inerte face à la mort d’Oscar. Selon toi, la chaleur incite-t-ellemoralement à l’action ou à l’inaction ?

Victor Jestin : Pour ma part elle me neutralise, c’est pourquoi j’aime vraiment le froid, qui me met en mouvement. Je pense être plus lâche quand il fait chaud. Et je ne veux plus parler et je n’ai plus de désir. La chaleur en fait me coupe des autres. À moins de passer un certain cap dans la torpeur. Alors, d’une façon comme un peu aléatoire, j’agis. C’est ce qui arrive à Léonard. À l’échelle individuelle comme collective, en forçant, la chaleur m’évoque cela : une plaine d’inaction parsemée d’actions soudaines et décisives, entre révolutions, crimes, nuits d’amour.

Jasmin Mandola : La chaleur oppressante semble refléter la culpabilité qui étreint Léonard. Comment as-tu travaillé ce parallèle entre étouffement physique et étouffement moral ?

Victor Jestin : Je voulais que l’étouffement moral se fonde dans le physique, que le corps prime, que tout passe par lui. Léonard n’est plus qu’un corps qui sue et on ne sait plus trop s’il sue de sa culpabilité ou du soleil. Le travail d’écriture était donc ...