Faut que ça s’arrête !
Je ne sais pas faire de break.
Mes amis disent « Faut que tu coupes ». Mais, comme un moustique, le monde me revient sur la plage. Pieds dans le sable, j’ai le portable qui tremble. C’est écrit URGENT ! Je pourrais dire silence, mais j’ai des responsabilités. Il faut lâcher les Lettres à Lou, répondre à d’autres camarades, qui, là-bas, attendent leur break en empêchant les autres d’en profiter pleinement.
Je ne sais pas faire de break, parce que le vide m’angoisse.
Et la peur de manquer ! D’argent, d’amitiés, d’idées.
Et la peur qu’on m’oublie.
Est-ce que les gens pensent à moi ? Ou bien est-ce qu’ils se reposent, jambes fainéantes et le corps très lourd, quelque part ? Peut-être qu’ils n’en ont pas le droit, peut-être qu’ils ne partent jamais, peut-être qu’il faudrait en finir avec cette tyrannie vacancière, cette injustice du loisir, cette discipline de la coupure, tandis que d’autres s’usent les os 24/24 quasi toute l’année.
Je ne coupe pas, je suis révolutionnaire, d’ambition marxiste, tout du moins socialiste.
Je pense à Léon Blum.
Couper avec quoi ?
Avec l’amour, quand dans la relation l’évidence s’affaiblit.
Quand le « cœur n’y est plus », comme on soupire. Quand ce n’est plus si drôle de vivre avec l’autre, de dîner avec l’autre, de dormir avec l’autre. Quand, d’un coup, le ciel est pluriel, les horizons multiples. Quand il faudrait partir, simplement se l’avouer. « C’est fini. » Faire un break, se donner un peu de temps pour réfléchir. Ou plutôt, vérifier l’état de nos aimants, de nos attractions, de notre interdépendance. Un break, ça ne dure pas, c’est juste un passage, un transit. Un entre-deux, un état de latence. Tu gagnes du temps, c’est souvent lâche, c’est souvent nécessaire. Se retrouver seul, et partir.
Je rêve d’une grande Déconnexion.
Que les satellites s’écrasent dans l’Atlantique.
Que les câbles sous-marins soient tous rongés par des bestioles mutantes, pas encore découvertes.
Je rêve d’un black-out qui radicaliserait notre pause collective.
Qui recomposerait le monde.
Ou alors de partir loin, aux Marquises par exemple, à Nuku Hiva ou à Fatu Hiva.
Là, me laisser distraire par l’aileron des requins à pointe noire, la pointe des voiliers dans la baie, boire quelques Hinano.
Je rêve de partir, définitivement, c’est sans doute pour cela que ça ne s’arrête jamais.
Arrêter, même quelques jours, relève aujourd’hui du défi. Les alertes s’enchaînent, les notifications battent la mesure et l’intelligence artificielle promet de tout accomplir à notre place, tout en laissant planer la menace de nous remplacer. Entre surproductivité, peur de manquer l’instant décisif et injonction au repos, la pause devient une discipline paradoxale : on la convoite autant qu’on la redoute. Peut-on encore s’autoriser l’inactivité sans culpabilité ? Faut-il fuir, fermer, débrancher, ou redéfinir ce que signifie vraiment « faire un break » ?
Pour répondre, Zone Critique réunit des voix qui expérimentent, contournent ou refusent la trêve.
Au programme, des créations inédites d’Alice Hendschel, Zoé Besmond de Senneville, Tiphaine Mora, Sébastien Planas, Manon Galinha, et d’autres.
Deux entretiens inédits, de Kalindi Ramphul et Garance Meillon, prolongent la réflexion.
Enfin, nos critiques littéraires et cinéma passent au crible des œuvres récentes qui dissèquent l’angoisse de l’arrêt et la tentation de disparaître.
Un dossier pour mesurer la valeur de la coupure, entre urgence de vivre et désir d’interruption.
Bonnes lectures !
