Serge Joncour

Zone Critique est parti à la rencontre de  Serge Joncour, qui vient de faire paraître le très joli L’amour sans le fairechez Flammarion. Au sein de la médiathèque de La Robertsau à Strasbourg, l’auteur de Vuet de L’idole s’est penché en notre compagnie sur les grands thèmes et les grandes figures qui habitent son oeuvre, de plus en plus dense, de romancier.

1998

Sans doute, enfin j’espère. Il n’y a pas de maturité, il y a une évolution. Malgré tout, on change un peu, dans son rapport au monde. Ce que j’écris est influencé par ce que je suis, ce que je ressens, depuis 15 ans.

Un livre pour un auteur, c’est un souvenir associé à une période de sa vie, c’est un an et demi voire deux ans d’archéologie personnelle. Lorsque je relis chacun de mes livres, je retrouve celui que j’étais à ce moment-là. Il n’est pas sûr qu’il y ait une progression. En tout cas, il y a un changement.

Dans vos romans, la psychologie prime sur l’action. Comment travaillez-vous vos personnages ?

Ce que j’aime avant tout dans un roman, c’est faire évoluer le personnage, de manière à ce qu’il ne soit pas le même entre le début et la fin. Je ne sais pas si je les reproduis systématiquement dans tous mes livres, mais c’est cela qui est intéressant. Il y a des moments où ils changent, où ils passent d’un état d’esprit à un autre, d’une situation à une autre.

Le plus spectaculaire se passe souvent dans la tête. Cela peut être un grand calme ou une tornade. Par exemple, dans mon roman UV qui est comme un thriller psychologique, je fais un peu cet exercice, de voir comment quelqu’un va influencer tous les autres. C’est comme mettre une goutte de peinture bleue dans un verre d’eau, ça dénature.

Le plus spectaculaire se passe souvent dans la tête. Cela peut être un grand calme ou une tornade

Et puis je suis curieux des autres. Pas par générosité, mais plutôt par curiosité. C’est peut-être un réflexe d’enfant unique, de regarder les autres agir, se comporter. Parce que finalement tout nous désigne, tout dit de nous, dans la façon de s’asseoir, de porter une chaise, c’est saisissant. Regardez : il y a 10 personnes en face de nous, pas une ne se tient de la même façon. En s’arrêtant sur chacun, je peux projeter des choses sur leur état d’esprit, leur vie. C’est comme rêver devant un paysage.

Pourquoi la ruralité figure-t-elle parmi vos thèmes récurrents ?

Mon premier roman publié se situait dans un univers rural assez arriéré. Je suis issu de deux cultures : ma famille est à la campagne et moi j’habite en ville. Je me sens à la fois un peu déplacé, et à l’aise dans les deux milieux. Mes livres sont une sorte de synthèse générationnelle : presque toutes nos familles viennent de la campagne.

Vos romans sont toujours en phase avec la société contemporaine. Imagineriez-vous les situer à une autre époque ?

2003

Dès mon premier roman, j’ai abordé le thème de la télévision, qui est particulièrement contemporain. Cette envie de passer à la télévision de façon permanente m’a intéressé au point d’en faire le sujet de Vu.

La nature humaine fait qu’à un moment il faut prendre le pouvoir. On croit le prendre quand de téléspectateur, on devient téléacteurs, c’est à dire les acteurs mêmes de la télé. Le fondement aujourd’hui, l’unique intérêt, c’est d’être soi-même considéré comme suffisamment intéressant pour être mis en vedette. A partir de là, les célébrités ne reposent sur rien. Il y a plein de gens célèbres aujourd’hui sans qu’on sache pourquoi.

Cette quête de notoriété est typique de notre époque. Avant, on considérait qu’il fallait faire quelque chose, exister soit socialement, soit par arrivisme pour être reconnu. Aujourd’hui du jour au lendemain, on peut être mondialement connu sans rien faire. La célébrité est devenue une valeur en soi.

Comment construisez-vous vos romans ? Avez-vous un plan de départ ou vous laissez- vous guider par les personnages au fil des pages ?

J’ai un décor en tête, des personnages, mais je ne sais absolument pas où je vais. Parfois ça peut marcher, mais je ne suis pas toujours sûr qu’il y ait quelque chose au bout.

Quand on met en place des choses sur 100 pages, il y a tellement d’éléments qu’on a toutes les décisions possibles

Avant de publier mon premier livre, j’en ai commencé une demi-douzaine qui se sont arrêtés à 120 pages, parce que je n’étais plus passionné par mon sujet

Quand on met en place des choses sur 100 pages, il y a tellement d’éléments qu’on a toutes les décisions possibles. Ce n’est pas comme dans la vie où l’on ne peut pas changer ce qu’on a fait, ce qui a été dit. Dans un le roman, on peut gommer, revenir en arrière. Si ça nous arrange, on peut faire un salopard d’un personnage que l’on avait décidé de rendre sympathique au départ.

2013

Oui, parce qu’on ne vit pas tout le temps dans l’amour. A certaines périodes la vie est fortement influencée par l’amour,  pas à d’autres. Dans mes livres c’est pareil.

J’ai écrit  plusieurs romans où il n’était pas question d’amour entre un homme et une femme. Dans In Vivo, ce sont des enfants qui cherchent l’amour, celui d’une mère.

Dans L’amour sans le faire, j’évoque l’amour au sens large, un amour familial. Il s’agit aussi de la naissance de l’amour entre deux êtres qui se rencontrent et vont peut-être se trouver. L’amour dans la psychologie d’un être c’est un temps fort, c’est aussi un moment où l’on se révèle, où on se découvre.

Je ne crois pas avoir écrit de roman sentimental.

Vous êtes également scénariste et dialoguiste. Certains de vos livres ont été portés à l’écran, comme L’idole devenu Superstar . Vous avez également co-écrit le scénario du film Elle s’appelait Sarah tiré du livre éponyme de Tatiana de Rosnay. Avez-vous d’autres adaptations en préparation ?

J’essaie de faire L’amour sans le faire. C’est difficile. Faire un scénario c’est avoir plusieurs interlocuteurs. Ce n’est pas comme un roman où l’on est seul face à sa feuille. Un scénario, on est plusieurs à intervenir et sans cesse obligé d’y revenir. Il faut que ça accroche auprès de financiers, de cinéastes, de gens très différents.  Mais c’est amusant à faire aussi. C’est un exercice qui me plaît. C’est souvent fait dans l’urgence.

Que lisez-vous ?

J’essaie de lire des nouveautés, des romans parce que j’ai envie de voir comment font les autres. Il n’y a pas une recette universelle pour écrire. Parfois il y a des romans qui m’importent parce qu’ils ont leur force.

Le dernier roman que j’ai lu est Ecoute la pluie , de Michèle Lesbre. C’est un roman sensible qui m’a touché.

Le dernier roman que j’ai lu est Ecoute la pluie , de Michèle Lesbre. C’est l’histoire d’un homme qui se jette sous le métro devant ses yeux et cet événement va désorganiser sa vie. C’est un roman sensible qui m’a touché.

Ce qui est intéressant, c’est de lire un univers qui n’est pas le sien.

Je surfe aussi. D’ailleurs, c’est tentant, on passe d’un sujet à l’autre, donc j’essaie de me limiter dans cette activité là.

Les prix obtenus vous apparaissent-ils comme une consécration, une reconnaissance ?

Ce sont des moments de plaisir. C’est comme un diplôme, ça certifie quelque chose. Recevoir un prix permet de se dire que je ne suis pas le seul à considérer que j’ai raison d’écrire, ça rassure. Car quand on écrit un roman chez soi, on n’est rassuré par personne. Un prix, c’est un soutien. N’en avoir aucun, c’est un peu terrorisant. L’euphorie passée, il y a le roman à venir, qui questionne à nouveau…