Jean-Pierre Siméon
Jean-Pierre Siméon

Zone Critique fait le pari de la poésie, et se propose désormais de vous fait découvrir chaque mois un recueil de l’excellente maison d’édition du Cheyne. Retour aujourd’hui sur les Poèmes du corps traversé de Jean-Pierre Siméon.   

1998
1998

Des Poèmes du corps traversé, je n’évoquerais pas la seconde partie, intitulée Paradoxes du corps amoureux, qui apparaît n’extrapoler que les intuitions originelles de Jean-Pierre Siméon, déjà exprimées dans la première partie de son recueil. Nous pénétrons d’un seul mouvement absolu derrière l’écorce pour nous imbiber de la sève écoulée dans la forme de quarante-cinq poèmes aphoristiques. Le beau, paradoxalement, parvient également à s’épanouir en maximes figuratives. Nous aurions l’impression de vieux cantiques radotés alors que nous ne lisons que les explicitations de nos silences contemporains, à chaque page, les néants s’anéantissent dans des chants nécessaires. Et la condamnation des paroles hasardeuses est sans appel :

« Comme tu approches dans ton pas trop privé ! Tu survis, tu as le goût de tes nombreuses guérisons.

Il faudrait parler de la pureté de l’air où tu te risques chaque fois que tu répugnes à l’invisible (le verger est ainsi, sa couleur passe son supplice).

Il faudrait prévenir la parole de ses marges lasses, accomplir dans ton visage rudoyé les intentions de la douceur. »

La clarté du reflet adéquat de l’esprit et du corps réconciliés ravive les instants secrets du vécu : certaines solitudes s’impriment dans les souvenirs de certaines sociabilités malheureuses, et quelques intimités accompagnées se présentent ici à la lumière de nos arrière-pensées subtilisées par le regard d’autrui. Des bouquets de significations chromatiquement imprégnées des tonalités complètes des jours et des nuits. Aucune main tendue ne se porte vers la moindre facilité bavarde. Mesurés, à la fois, en leurs sens et en leurs sonorités, les mots de Jean-Pierre Siméon précisent la sérénité du temps immobilisé au sein de la pure rencontre entre un je et un tu enamourés :

« Légère et réunie, ta parole me précède. Encore un miroir comblé de ton visage : tes jaillissements sont illustres, ils brûlent mes herbes pauvres.

Je t’attends, cheminante, sur des lieux vendangés. Hors du vide, de son bronze anonyme, il n’y a place que pour ta durée. Tu prends forme des saisons, de leur vase limpide.

Légère et réunie, ta parole me précède. Encore un miroir comblé de ton image, la proche apothéose de ton corps. »

Je voudrais exhumer le lit des résonances universelles qui émanent des lectures entêtées, à approfondir et à creuser les potentialités suggestives des images et des pensées dévoilées, à déplier les impressions potentielles en toutes sensibilités imaginables : avant d’écrire présentement, je me rendis compte que l’écrivain lui-même ne se situe vraisemblablement qu’en l’analogue ouvrage de l’enlumineur œuvrant, dans la plus grande sincérité, à souligner le relief des lettres spirituelles, en marge du texte existant confié à son soin. L’optique définie, parmi ces lignes de fuites, se délimite, de façon nécessairement particulière, à élever la latence de nos représentations communes vers leurs formalisations essentielles. Pour vous donner un exemple, y aurait-il quelque événement plus banal qu’un retour nocturne chez nous ? Jean-Pierre Siméon parvient tout de même à en dégager la substance vivifiante :

« Ton geste d’aujourd’hui habille la maison. Ici les miroirs respirent, le ciel appartient à ton épaule. Congé sera donné au toit, qu’il dorme avec les pierres recluses !

Quel masque faut-il rompre, quelle distance déplacer jusqu’à la fenêtre ? Nous nous tenons, jeune parfum, dans la fraîcheur de l’instant. Nous mesurons le jour à son bond capricieux.

Tour à tour dans l’éveil et la richesse du drap, le corps revient à sa chance, laine du repos, confiante beauté. »

Je suis désormais la leçon inspirée de mon maître Siméon : tout prochain est, à la fois, spirituel et temporel

 Que le lecteur de mon compte-rendu m’excuse (une fois n’est pas coutume) des tentatives allusives portées vers lui, mais j’appartiens à cette société de gens qui ne jugent les critiques qu’à l’aune de leur degré de réceptivité des œuvres : ainsi, imparfait, le commentaire se doit de suivre l’humilité, exécutante, de la lecture du seul livre. Je suis désormais la leçon inspirée de mon maître Siméon : tout prochain est, à la fois, spirituel et temporel.

« Le cœur soudain nous est visible. Nous n’aurons pleuré vraiment que sur l’énigme rapide du galet. Nous renouons avec la vague.

Devant la bouche de l’horloge, nous demeurons les préférés du jour. L’heure joue menue dans tes doigts, l’air tressaille et tu chéris sa nudité parfaite.

Il n’y a que toi, mon amour, pour rendre intelligibles les destins de la branche, pour veiller dans le froid contredit aux ambitions du fruit.

Soudain tu ris, et tu disposes de ma fièvre, et tu existes dans mes yeux, tendre commencement. Quelle hardiesse succède à mon repos, toi seule l’espères et l’inventes ! »

  • Poèmes du corps traversé, Jean-Pierre Siméon, Editions du Cheyne, 1998.