Dali tenant un mannequin, Denise Bellon
Dali tenant un mannequin, Denise Bellon

Le Musée Bourdelle présente en ce moment une exposition originale, retraçant le rôle du mannequin dans la représentation picturale à travers les siècles. Objet de fascination, le mannequin d’artiste nous livre quelques secrets d’atelier, à découvrir jusqu’au 12 juillet prochain. 

Jusqu'au 12 juillet 2015
Jusqu’au 12 juillet 2015

C’est un plaisir de retrouver l’Atelier-Musée Bourdelle après 8 mois de fermeture pour une exposition au sujet original et dont l’exécution est de qualité: Mannequin d’artiste, mannequin fétiche.

Peu d’entre elles se sont penchées sur l’envers du décor, sur les outils aidant l’artiste : et quoi de mieux qu’un ancien atelier pour exposer ses secrets de réalisation ?

A travers un parcours chrono-thématique et une scénographie sobre, Jane Munro, Amélie Simier, Jerôme Godeau, commissaires de l’exposition, nous livrent un travail scientifique, dévoilant deux axes de réflexions antagonistes: le mannequin comme outil, le mannequin comme sujet.

Le mannequin outil

Bien qu’à portée artistique, l’exposition Mannequin d’artiste, mannequin fétiche n’a pas omis la description de l’aspect technique du mannequin, de la Renaissance jusqu’au milieu de XIXème siècle, parti-pris chronologique oblige.

Le mannequin avait pour vocation de représenter les choses de la manière la plus réaliste possible. Nicolas Poussin allait même jusqu’à enfermer de petits mannequins dans une boîte avec percée de lumière pour composer ses scènes, afin d’avoir un rendu sur la toile le plus proche possible de la réalité, sans forcément prendre modèle sur des décors naturels.

Le mannequin de plus grande taille s’imposait quant à lui pour de meilleures représentations de tombée ou de posture de personnages, sujets de la future toile.

L’exposition rend bien compte de l’importance du mannequin dans le travail des artistes au fil des siècles : celui-ci fut en effet l’outil indispensable de tout peintre se respectant, de Courbet à Gainsborough en passant par José Maria Sert. Présentant les mannequins utilisés, leur processus de brevet, ainsi que les mécanismes détaillées tout en confrontant les oeuvres où l’usage de celui-ci était évident, les commissaires nous dévoilent une démonstration richement documentée.

Cependant, l’ère du mannequin, omniprésent dans l’aide de la représentation mais invisible dans l’oeuvre, est bientôt révolue. « Trop de tableaux fabriqués, trop de mannequins maquillés » selon John Ruskin. Décrié comme étant trop figé et finalement peu naturel (ce qui est le comble pour un objet dont la principale ambition était le réalisme), celui-ci est progressivement abandonné des ateliers. Des critiques disaient même de l’oeuvre de Gainsborough que « ses figures ne donnent jamais l’illusion d’être en présence de personnes en chair et en os… elles présentent si peu de ressemblance avec la nature courante qu’elle appartient certainement à une autre race de créature ». Il est cependant important de préciser que le maître réalisait ses paysages en atelier à l’aide de simples morceaux de charbon et de brocoli.

Mais il ne s’agira pas d’une disparition pure et simple: le mannequin va sortir de l’ombre pour devenir sujet.

Le mannequin sujet

D’abord nostalgiques, de nombreux peintres glisseront des mannequins dans des toiles représentant leurs ateliers, comme  souvenir d’une époque révolue.

A la fin du XIXème siècle, les études de Charcot et les prémices de la psychanalyse traitant de l’hystérie, inspirent certains artistes qui laisseront transparaître dans leurs oeuvres le rapport ambigu du thérapeute avec ses patientes. Celles-ci, ayant le même usage que les mannequins dénués de vie tout en étant des sujets vivants, deviennent rogressivement l’expression  du « corps hystérique ».

Vous pourrez vous rendre compte jusqu’au 12 Juillet de l’importance du mannequin dans le travail de l’artiste au fil des siècles, dans une exposition qui nous livre exhaustivement ce secret d’atelier, retraçant la mutation de cet objet mystérieux voire mystique

Outre les représentations de femmes sujets-objets et de mannequins dans les ateliers, cette fin de siècle fut aussi l’époque de la redécouverte d’Ovide, et plus singulièrement du Mythe de Pygmalion, récit menant progressivement à l’érotisation, à la fétichisation du mannequin par l’artiste dans son oeuvre, comme en témoigne ce vers : « Elle avait toute l’apparence d’une véritable vierge, que l’on eût crue vivante et, si la pudeur ne l’en empêchait, désireuse de se mouvoir: tant l’art se dissimule grâce à son art même ».

Cette fétichisation fut exacerbée dans les créations ultérieures, et sera le mot d’ordre de nombres d’artistes surréalistes qui clôturent avec pertinence l’exposition. Hans Bellmer et Kokoschka sont les plus aptes à montrer cette perversion sexuelle du mannequin, qui pour ce dernier est façonné à l’image de son amante l’ayant quitté.

De façon moins sexuellement assumée mais tout aussi subversive, les surréalistes voient en cet objet l’allégorie même de leur mouvement, incarnant une frontière entre la réalité et l’imaginaire, et devenant ainsi le principal sujet de leur exposition internationale de 1938.

Vous pourrez vous rendre compte jusqu’au 12 Juillet de l’importance du mannequin dans le travail de l’artiste au fil des siècles, dans une exposition qui nous livre exhaustivement ce secret d’atelier, retraçant la mutation de cet objet mystérieux, voire mystique.

  • Mannequin d’artiste, mannequin fétiche, Atelier-Musée Bourdelle; jusqu’au 12 juillet 2015.

Cassandre Morelle