Délphine de Vigan

Dans son dernier roman, D’après une histoire vraie, Delphine de Vigan se livre, se met en scène et tente de se reconstruire. En effet, l’écriture de ce texte relève, d’après elle, d’un combat de longue haleine contre les peurs liées à l’écriture. C’est un roman de l’angoisse, mais également un texte d’espoir. Un très bon texte, récompensé par le prix Renaudot 2015.

Septembre 2015
Septembre 2015

Autour de la rencontre de sa narratrice et d’une femme mystérieuse, L., Delphine de Vigan nous narre les difficultés auxquelles elle a fait face à la suite de la publication de son dernier roman, Rien ne s’oppose à la nuit. Dans ce dernier, l’auteure s’était livrée, s’était exposée en racontant une vision de son passé. D’après une histoire vraie est l’histoire d’une reconstruction.

La simplicité de l’intrigue …

La trame de l’histoire est simple. La narratrice, que le lecteur identifie tout de suite à l’auteure (car tel est le but), nous raconte sa rencontre avec L., une femme élégante, distinguée et mystérieuse. Autour du développement d’une amitié qui devient passionnelle et exclusive, la narratrice est confrontée à ses doutes, et ses angoisses vis-à-vis de son travail d’écriture, qui la plongent petit à petit dans un état dépressif aigu et annihilent toute capacité à rédiger quoi que ce soit. La fin du livre laisse entrevoir, discrètement, la renaissance de l’écrivain, qui passe par un travail d’acceptation. Cet fin d’ouvrage s’ouvre sur les prémices de l’écriture de celui-ci.

permet un travail sur le procédé …

Le livre de Delphine de Vigan est bien mené. Ce roman ne se cache pas derrière une recherche d’érudition qui viendrait berner le lecteur. Le style est fluide, les phrases sont courtes, les mots sont simples. Et, à travers des mots de tous les jours, l’auteure réussit à nous entraîner dans son histoire, à nous faire vivre, avec elle, l’angoisse, la peur. Delphine de Vigan touche son lecteur.

Le texte, structuré en trois parties (Séduction, Dépression, Trahison) donne l’impression de se construire comme une spirale. En effet, dès le début, la narratrice nous avertit. Elle connait la fin de l’histoire, elle nous met donc en garde et altère le premier jugement que nous aurions pu avoir sur les personnages. Au fil du déroulement de cette intrigue, le lecteur a souvent l’impression de la répétition, d’un déjà vu vingt pages plus tôt. Elle titille parfois la petite voix du lecteur, qui se dit en pestant « oui, on sait … ». Et puis finalement, à y regarder de plus près, à lire car, non on ne doit pas zapper trois paragraphes, on s’aperçoit que cette illusion de connu est une illusion. Car avec des mots légèrement différents, des faits ou des expressions remaniés, l’auteure resserre son propos et les traits de son personnage. C’est une spirale. On repasse plusieurs fois près d’un point, mais on se rapproche, petit à petit, du cœur.

qui nourrit à merveille l’univers de l’ouvrage

Delphine de Vigan touche profondément son lecteur. Ses angoisses finissent par faire écho aux nôtres, ses interrogations nous turlupinent. Comment va-t-elle s’en sortir devient parfois un ” comment vais-je m’en sortir” ?

Les angoisses de Delphine de Vigan ne sont pas étrangères à celles du lecteur

À travers les multiples conversations qui se tiennent entre la narratrice et L., Delphine de Vigan instaure une réflexion sur les rapports qu’entretiennent l’écriture et le réel. Elle interroge la subjectivité de l’écriture, son rôle thérapeutique ainsi que le rapport au lecteur. Ecrire, est-ce énoncer une vérité ? En est-ce le but ? Delphine de Vigan livre une vision intéressante de la figure de l’écrivain face à son oeuvre. Et à sa continuité. Y-a-t-il des livres dont on ne revient pas ? Elle écrit :

“Peut-être étais-je la seule à ignorer ce que tout le monde savait. Ce livre était un aboutissement, une fin en soi. Ou plutôt un seuil infranchissable, un point au-delà duquel on ne pouvait pas aller. […] Un livre au-delà duquel il n’y avait rien, au-delà duquel rien ne pouvait s’écrire. Le livre avait bouclé la boucle, brisé l’alchimie, mis un terme à l’élan”.

Delphine de Vigan nous emmène dans 480 pages anxiogènes, où sa narratrice se lie à L. dans une relation malsaine, qui mène à l’auto-destruction. Elle écrit :

“Voilà ce que L. avait réactivé : la personne insécurisée en moi capable de tout détruire. L’espace d’une minute, je me suis tenue juste au bord du désastre, et puis j’ai reculé”.

L. pousse la narratrice dans ses retranchements, se pose comme une seconde conscience, une petite voix diabolique qui pose les questions qu’on ne veut pas entendre. L. emmène la narratrice sur des terrains glissants, tente de la déstabiliser. Une des angoisses qui anime la narratrice est la peur de blesser de façon irréparable l’autre, celui qu’elle aime, son prochain. Les lettres anonymes qu’elle reçoit de la part d’un proche (une personne de sa famille visiblement) la mettent à mal. Elles l’attaquent dans sa recherche même d’une expiation par l’écriture et confortent la narratrice dans l’idée de revenir à l’écriture d’une fiction revendiquée. L. en joue. Elle qui ne veut que du vrai dans l’écriture passe son temps à convaincre la narratrice de revenir sur ce terrain. Ainsi, au cours d’un des dialogues entre les deux femmes, L. déclare :

“Tu sais à quel point je crois en toi. Mais ça, non, ce n’est pas possible. Si j’étais toi, je remettrais ce truc au fond du tiroir où tu l’as trouvé. Tu as peur, tu paniques, tu es prête à te jeter sur le premier bout de gras venu. On en revient toujours là, tu vois, on en revient toujours au même point : tu es bloquée parce que tu refuses d’écrire ce que tu dois écrire. […] Tu as peur d’aller où tes pas te mènent. Tu as tort, car ce n’est pas à toi de choisir quel écrivain tu es, je suis désolée, ce n’est pas à toi d’en décider, non. Puisqu’on en parle, je me demande parfois si tu ne devrais pas te méfier du confort dans lequel tu évolues, cette petite vie finalement assez paisible, entre tes enfants, ton mec, l’écriture, tout cela savamment dosé, je me demande parfois, c’est juste une question, mais oui, je me demande s’il n’y a pas quelque chose d’un peu …anesthésiant. Peut-être as-tu besoin de ça, de cet équilibre, je peux le comprendre, je sais de quoi je parle, je sais quelle faille creuse la violence, et que cela ne se répare pas. Tu crois avoir besoin de ça parce que tu ne te fais pas assez confiance, mais prends garde quand même à ne pas t ‘endormir. Je comprends que tu aies peur, mais la peur ne protège de rien, la peur ne prévient pas le danger”.

La plus grande duperie du roman réside dans sa note finale et dans le doute profond qu’il instaure

La narratrice finit par se soumettre à cette femme, totalement. Elle lui laisse un contrôle sans limites sur sa vie, dont le réveil passera par une envie de vivre. L., une femme un peu trop parfaite au premier coup d’oeil, qui se révèle finalement diabolique. Une mante religieuse qui se nourrit de sa proie, en la poussant dans des retranchements dont il est difficile de revenir. Qui joue sur les peurs, sur les angoisses d’une narratrice désabusée. Qui est omnipotente. Delphine réussit bien son jeu. Elle berne le lecteur longtemps sur ce double je, sur cet enfermement schizophrène, qu’elle-même ne semble pas accepter. Mais la plus grande duperie, la note finale de ce roman, reste le doute profond qu’il instaure. Est-ce une histoire vraie ?

Si la fin du roman est un peu trop longue (certaines pages auraient pu être évitées), on la lit néanmoins sans trop de soucis, car elle s’inscrit dans la continuité d’un pavé que l’on a dévoré, que l’on a pas pu lâcher. D’après une histoire vraie est un roman efficace. L’écriture, en elle-même, n’est pas un chef-d’oeuvre, mais elle fait son travail. Elle emporte et supporte une histoire qui brouille le lecteur. Delphine de Vigan nous offre un roman qui, à travers une forme et des procédés parfaitement maîtrisés, produit un effet d’attachement, d’étonnement et de réflexion chez le lecteur. Il n’est plus maître de sa lecture. Si narratrice se confond finalement avec L., si Delphine de Vigan se confond avec sa narratrice, qui est qui ? Car Delphine de Vigan n’est ni sa narratrice, ni L. mais un peu des deux et de bien d’autres. La question de l’identité est le pivot de cet ouvrage. D’après une histoire vraie est un très bon roman. Et finalement, qu’est ce qui était vrai ?

  • D’après une histoire vraie, Delphine de Vigan, 484 pages, 20 euros, septembre 2015