Zone Critique revient sur le recueil de nouvelles d’Alessandro Baricco, Trois fois dès l’aube. Ces récits qui cultivent une atmosphère poétique sont toutefois entachés par des dialogues trop plats et convenus. Tournant toujours autour d’une perspective commune, ces histoires se suivent et se ressemblent. Un recueil qui nous laisse sur notre faim.
Un nouveau Baricco sort chez Gallimard. C’est pour moi ! Je connais peu l’auteur mais je me souviens avec délice de Novecento, récit envoûtant, magistral et émouvant encore redécouvert cet hiver grâce à la performance exceptionnelle d’André Dussollier au Théâtre du Rond-Point. Monsieur Baricco, je vous connais peu mais j’attends de vous beaucoup.
Le livre arrive. Je suis impatiente de découvrir ces lignes. Je m’installe et ouvre le recueil …
Une forme vacillante
Trois fois dès l ’aube est un recueil de trois nouvelles dont le titre souligne le dénouement crépusculaire. L’écriture est belle, fluide, les mots glissent sous les yeux. Les descriptions sont un délice, à l’exemple de cette entrée en matière dans la première nouvelle : « Dehors, régnait cette obscurité qui précède l’aube, ni la nuit ni le matin. Le hall de l’hôtel demeurait immobile, raffiné dans ses détails, propre, feutré : paré de couleurs chaudes, silencieux, bien agencé, constellé de reflets, murs hauts, plafond clair, des livres sur les tables, des coussins rebondis sur les canapés, des tableaux encadrés avec soin, un piano dans un coin, quelques indications nécessaires à une typographie jamais laissée au hasard, une pendule, un baromètre, des tapis sur le sol – un soupçon de parfum ». L’ambiance est toujours décrite avec soin, l’image s’impose de manière poétique. Le style est maîtrisé, l’information minutieusement calculée : on donne assez à l’imaginaire sans noyer le lecteur. On se retrouve toutefois stoppé dans notre élan. Un dialogue libre apparaît. La forme surprend, amuse. Pas de ponctuation, pas de référence. Juste un retour à la ligne pour indiquer l’autre. La forme novatrice devient vite trop décousue, le dialogue s’éternise, le lecteur se perd. L’auteur nous met l’eau à la bouche avant de nous lâcher dans une forme libre, trop libre. Le style devient inégal, la qualité se perd. Baricco fait le pari de l’audace à travers cette forme particulière, mais les trois nouvelles reposent trop sur le dialogue pour que l’effet reste efficace. Il finit par nous étouffer, nous décourager. C’est dommage.
Des similitudes trop peu maquillées
Si les trois nouvelles trouvent leur harmonie à travers la temporalité qu’elles explorent, ce n’est pas là leur seul point de ralliement. L’aventure nocturne cède la place à une rencontre entre différents caractères. Celle-ci justifie d’ailleurs l’abondance du dialogue dont nous parlions plus haut. Chaque nouvelle nous offre des personnages assez différents dans leur stature sociale. On rencontre ainsi deux inconnus dans un hôtel, un concierge et une gamine paumée ainsi qu’un nouvel orphelin et une flic désabusée. Toutefois, si les portraits semblent laisser la place à une certaine diversité, la logique qui se développe entre les personnages est toujours la même. En effet, Baricco exploite au cours de ces trois textes les figures intemporelles du sauveur et du sauvé. Ainsi, chaque nouvelle présente un personnage dont le monde n’a plus rien à attendre et qui n’a plus rien à attendre du monde, et, dans un sursaut de grâce rédemptrice, va voler à la rescousse d’un être faible et démuni. Les traits de caractères sont intéressants.
Baricco tombe dans le piège du décor
Toutefois, ils sont exploités trois fois de la même manière. En effet, plutôt que de présenter trois approches différentes d’une même logique relationnelle, Baricco tombe dans le piège du décor. À savoir que, trois fois, le scénario reste le même, seul l’arrière-plan change. Ainsi, les nouvelles se structurent autour d’une négociation entre les protagonistes. Le sauveur qui ne veut pas se dévoiler et le sauvé qui n’accepte sa condition que si l’autre accepte de lui révéler son passé. Les dialogues s’articulent alors avec un enchaînement de questions, qui mènent à des réponses parfois proches du lieu commun. De plus, il n’y a aucune originalité, ni dans le passé des sauveurs, ni dans les questions de leurs protégés. On comprend bien vite la logique des nouvelles et on se lasse …
Nous ne sommes pas au régime…
L’impression que Baricco maquille la même intention en changeant juste le scénario est préjudiciable, non seulement elle nous lasse, mais elle nous cache également la qualité littéraire qui peut émaner de ces textes. Les trois histoires mises en scène auraient gagné à être développées. Un texte aurait suffi à Baricco pour dessiner le rapport humain qu’il propose. Un texte plus abouti. Le format de la nouvelle ne convient pas ici. Surtout pour la dernière, qui est de loin la meilleure, la plus riche. Elle aurait fait un excellent début de roman. Malheureusement, elle arrive après les deux autres et laisse finalement le lecteur sur sa faim… Il aurait fallu préférer l’approfondissement à l’accumulation.
- Trois fois dès l’aube, Alessandro Baricco, Gallimard, 121 pages, 13,50 €, Février 2015
Ninon Legrand