Seven corridors
Seven corridors, François Morellet (Copyright : Martin Argyroglo)

Il fait partie de ceux qui ont marqué l’histoire du MAC/VAL. Le musée d’art contemporain de Vitry-sur-Seine fêtant cette année ses dix ans d’existence, le plasticien François Morellet a été invité à investir l’immense espace des expositions temporaires pour y présenter une œuvre unique, une gigantesque installation labyrinthique inondée de blanc, audacieuse et purement monumentale, et pourtant absolument sobre.

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Si l’artiste avait été plus pop, peut-être aurait-il investi les 1350 mètres carrés de l’espace qui lui a été offert avec un énorme gâteau dégoulinant de crème, ou même avec des centaines de milliers de ballons colorés, pour chanter un tonitruant chant d’anniversaire visuel au musée qui l’a bien des fois présenté dans ses salles. Mais François Morellet (né en 1926 à Cholet) n’a pas pour habitude de s’épancher, bien au contraire : celui qui s’est fait connaître pour son apport majeur à l’abstraction géométrique est systématiquement guidé dans ses créations par les mathématiques. Il calcule, trace des traits, laisse faire les chiffres et dessine les contours de son art froid et concret à partir de ses résultats. On connaît ses toiles quadrillées, on connaît ses néons sobres, on connaît ses triangles, ses sphères et ses traits : il est reconnaissable entre mille et sa recette n’a rien pour nous déplaire, quoique… Il est comme un enfant qui colorie parfaitement, sans jamais dépasser, sage dans un coin de sa chambre : fascinant et légèrement inquiétant. Mais toujours, toujours séduisant.

Geste minimaliste

Cette fois-ci, il propose donc une œuvre unique, nous l’avons dit : au vu des très riches expositions que peut accueillir la très grande salle modulable des expos temporaires du MAC/VAL, ce geste minimaliste paraît particulièrement audacieux, si ce n’est légèrement insolent, et du même coup, tout à fait savoureux. Il n’est pas le premier en tout cas à avoir proposé un geste unique : l’année dernière, la géniale et très engagée Tania Mouraud (née en 1942 à Paris) avait plongé la salle dans le noir et présenté trois vidéos d’une même usine de destruction de livres. Dans un fracas ahurissant, les livres se faisaient déchiqueter, déchirer, détruire ; en coupant de ses images toute présence humaine et en montrant la destruction sauvage par un travail sur le bruit, assourdissant, et sur l’image, gigantesque et enveloppante, Tania Mouraud mettait en évidence la substance sensible dont nous investissons les livres. En somme, elle proposait un véritable calvaire, hypnotisant et inoubliable.

Chez Morellet, pas de bruit, pas d’image animée, pas même de couleur. Juste une installation blanche en forme de labyrinthe : Seven corridors se présente tout d’abord comme une œuvre dans laquelle le spectateur est invité à entrer.

Chez Morellet, pas de bruit, pas d’image animée, pas même de couleur. Juste une installation blanche en forme de labyrinthe : Seven corridors se présente tout d’abord comme une œuvre dans laquelle le spectateur est invité à entrer. Il se balade dans des couloirs blancs, irréguliers. Puis, arrivé dans un des coins, il peut monter sur un escalier pour prendre de la hauteur et mieux distinguer la forme de l’œuvre : c’est tout simplement un cube barré de différents couloirs, dont les lignes se poursuivent sur les murs de la salle. L’idée originale est une petite figure dessinée par Morellet reliant les lettres des deux mots « Seven corridors » placées sur deux côtés d’un carré. Tout simplement.

François Morellet nous invite donc au cœur d’un de ces tableaux, agrandi jusqu’au point de nous transformer en petites fourmis qui glissons le long de ses lignes si soigneusement tracées, toujours selon un procédé mathématique précis. Essayez de respirer, de tirer quelque méditation de cette expérience blanche et immense, vous n’arriverez à ressentir qu’une légère angoisse : car, étrangement, François Morellet parvient une fois encore à échapper au sentiment, à ne pas tomber dans l’expérience, à ne pas nous impressionner. Il est la sobriété même. Que ce soit dans le gigantisme d’une œuvre immersive ou dans le minimalisme d’un petit tableau barré de quelques lignes, l’impression est la même : c’est pourquoi il faudra être attentif à la présence d’une autre œuvre, Carrément décroché n°1 (2007), constituée de quelques néons disposés en carrés, dont l’un est sur le point de se détacher. Introduction ou clin d’œil, ce petit rappel du protocole radical et minimaliste de François Morellet prend tout son sens dans une perception sans discours de tout son travail. Il n’y rien à dire, et l’expérience est en réalité une non-expérience. Sans sentiment. Et, pfiou : parfois, ça fait du bien.

Maïlys Celeux-Lanval