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©BBC

Sous l’égide du film de guerre, A War (Krigen) relève de multiples influences. Pouvant se rattacher à autant de registres cinématographiques que de thèmes abordés dans l’intrigue, il traite, avec subtilité, des conflits armés, de la famille, de la fraternité, de la solitude, de la justice et de la morale. Un large spectre narratif, porté avec brio par des comédiens danois bluffants de sincérité. Écrit et réalisé par le coscénariste de La Chasse, Tobias Lindholm, A War amène à se poser des questions essentielles, en plongeant au cœur de l’âme humaine.

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©SensCritique


Le film de guerre est un exercice périlleux à plus d’un titre. Genre appelant l’action, mais aussi l’introspection, il montre des personnages poussés dans leurs derniers retranchements. Ici, c’est le Commandant Claus Michael Pedersen (Pilou Asbæk) qui va devoir se battre contre ses démons. Ce n’est pas un mais deux combats qui l’attendent : l’un militaire, l’autre éthique. Sans dévoiler le twist intervenant à mi-parcours de l’histoire, on saluera le parti-pris de Lindholm, qui sort des sentiers battus pour interroger les véritables enjeux de la guerre. Loin du fameux « Pourquoi nous combattons » (Why We Fight) – mantra patriotique qui a bercé l’imaginaire des Américains durant la Seconde Guerre mondiale – le cinéaste danois demande plutôt : « Contre quoi nous battons-nous ? ». Contre un ennemi invisible ? Contre les siens ? Contre soi-même ? Pour son retour au pays, le soldat qu’il met en scène est exempt du leitmotiv de stress post-traumatique, mais emprunte un chemin non moins traumatisant, celui de la rédemption.

Réalité brute

Difficile, pour un réalisateur de film de guerre, de ne pas se perdre en surenchère d’explosions et crépitement de balles, pour restituer le cauchemar du terrain. Avec Tobias Lindholm, l’approche est minimaliste. Privilégiant une mise en scène immersive, il joue la carte d’un cinéma fictionnel quasi-documentaire. Plans serrés, travail sur la focale et judicieuse utilisation de la caméra subjective, lui permettent ainsi de faire tomber le quatrième mur dès la scène d’ouverture. En regardant ce film aux accents de docufiction, le spectateur a le sentiment d’être, lui aussi, sur le front aux côtés de ces hommes qui, même derrière leurs lunettes de soleil, concentrent mille émotions.

À la manière d’un film d’horreur, le silence augure d’un drame imminent et l’épouvante de blessures d’une gravité absolue n’est pas épargnée au spectateur

Filmées à échelle humaine, les scènes d’action sont précédées de séquences d’extrême tension, de sorte que le suspense va crescendo à mesure qu’on n’entend plus que la respiration saccadée des militaires et le bruit de leurs rangers sur ce sol désespérément hostile. À la manière d’un film d’horreur, le silence augure d’un drame imminent et l’épouvante de blessures d’une gravité absolue n’est pas épargnée au spectateur. Pour autant, le réalisme prédomine et, le public, qui ne le sait que trop bien, se cramponne déjà à son siège en redoutant le prochain choc.

Comédiens habités

Ayant fait ses armes à l’écriture du court métrage København (2009), centré sur un photographe de guerre, Lindholm a signé le script de 9. April (2015), inédit en France, dans lequel Pilou Asbæk joue un soldat pris dans la tourmente du printemps 1940. Acteur fétiche du réalisateur, celui-ci figure dans la majorité de ses projets – de metteur en scène comme de scénariste – et peut se féliciter d’une carrière internationale où le Lucy de Luc Besson côtoie la saison 6 de Game of Thrones. Le reste de la distribution, moins connu, fait progresser l’intrigue avec émotion. On louera l’interprétation sans fausse note de Tuva Novotny, qui incarne Maria, la femme de Claus, en révélant toute l’abnégation dont est doté son personnage. Animés par le même jeu naturel que cette protagoniste féminine, les hommes que Claus compte dans ses rangs représentent, à leur échelle, les différentes facettes d’un groupe militaire campé par des comédiens investis, dont plusieurs sont non-professionnels et véritablement soldats. Les composantes du drame intimiste se trouvent ainsi renforcées par le jeu nuancé de ce casting auquel on ne peut qu’adhérer.

Filmréflexif

Nommé à l’Oscar du Meilleur film étranger, A War concourrait dans la même catégorie que Le Fils de Saul ; autre film de guerre échappant aux codes du genre. Si le Hongrois László Nemes est reparti avec la statuette, le film de Lindholm a reçu le plébiscite de festivals de référence, comme Venise ou Palm Springs. De quoi récompenser l’angle humaniste, adopté par le cinéaste après avoir lu une interview de soldat inspirante, ainsi que son travail préparatoire documenté, mené en amont du tournage.

« Là-bas comme ici, chaque décision est une bataille », annonce l’accroche de l’affiche. A War pourrait ainsi s’intituler Wars, au pluriel, tant il renvoie à de multiples patterns. Au-delà de sa dialectique guerrière, il amène le public à se positionner moralement quant à une problématique plus déchirante encore que les ravages engendrés par les balles dans la chair. Une question demeure alors en suspens : Si l’homme est un loup pour l’homme, que convient-il de faire et de ne pas faire sur un théâtre d’opération, lorsque des vies peuvent basculer en un instant ? Interrogation centrale guidant ce film, dont on ressort sensibilisé, à tout point de vue.

  • A War, de Tobias Lindholm, avec Pilou Asbæk, Tuva Novotny, Dar Salim, Søren Malling. Sortie en salle le 1er juin.