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Les éditions Autonomes font paraître l’ouvrage Ricochets, à partir de l’oeuvre du photographe de l’agence Magnum Guy Le Querrec. Le livre met en regard les photos de la famille Le Querrec et les photographies prises en Bretagne par Guy, entre  1970 et  2000, afin de tenter de répondre à cette question : comment se constitue un regard sur le monde, une appréhension cadrée de la réalité? Pour le photographe, et comme en témoigne ce magnifique livre, il faut d’abord “redevenir naïf pour retrouver ces sensations de l’enfance, quand on désigne du doigt tout ce qu’on a envie de montrer. Il faut savoir retrouver cette pulsion, retravailler cette spontanéité et substituer l’appareil à l’index.

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L’ouvrage Ricochets a été pensé dans le cadre d’une grande exposition au Musée de Bretagne (Rennes) : « Guy le Querrec Conteur d’images ». Il est le fruit de « trois cerveaux et de six mains » comme l’écrit une des têtes de ce trio – Nathalie Bihan, l’éditrice. Elle baptise sa maison avec cette publication. Les deux autres cervelles sont celles du Guy Le Querrec bien sûr et de Emmanuelle Hacoët, la commissaire de l’exposition, qui signe aussi le texte du livre. Ce travail tripartite a permis un approfondissement à la fois d’un tel livre et de ses choix.

Car dans l’immense corpus de près de 23000 photos sur le Jazz, l’Afrique et la Bretagne du célèbre photographe de l’agence Magnum, il fallait, plutôt que de l’épars, trouver une homogénéisation. Ont donc été retenues les photos sur la Bretagne prises entre 1970 et 2000. Ce choix a été effectué à l’aide de gommettes, « technique » reprise au photographe lui-même. Dans son album de famille, mais aussi dans ses nombreux classeurs de travail, le photographe utilise en effet plusieurs couleurs de gommettes pour se repérer. Il utilise de même diverses notes d’archives et repères ludiques ou sérieux, qui prouvent que Le Querrec est aussi un graphiste soucieux de « customiser » albums et classeurs jusqu’à faire de ses planches de contact de véritables œuvres poétiques.

Calembours

Se traduit dans cette démarche le souci de l’ordre chez un artiste qui, pour retracer sa vie, fait bon usage de « la place de la pastille »… Guy Le Querrec est en effet friand des calembours et jeux de mots. Il ne s’en prive jamais. Et ses deux consoeurs de générations différentes les ont subi avec délice et en toute complicité avec le photographe à l’œuvre monumentale. Celui qui est membre de l’agence Magnum Photos depuis 1976 a été encouragé par la jeune éditrice et la commissaire d’exposition à remonter dans ses souvenirs enfouis. Et ce, à partir de son album de famille qui traverse sa vie de la prime enfance à l’adolescence, puis dans son travail de reporter, dont les racines sont ancrées dans ce premier album et dans son premier appareil photo offert pour ses douze ans par le comité d’entreprise où travaillait sa mère.

« les prises de vues de corps aux cadrages hasardeux et sans tête visible, des jambes qui valsent à droite ou à gauche, des erreurs ou des photographies ratées ont joué un rôle important et lui ont permis d’admettre que des ratages sont créatifs et d’accueillir l’accident en le revendiquant comme tel. »

Peu au courant à l’époque de l’histoire de la photographie et ce dans un temps où les livres et expositions de photos étaient parcimonieuses, l’auteur a appris « sur le tas » la construction des images et le choix de leur sujet. Comme le précise l’éditrice : « les prises de vues de corps aux cadrages hasardeux et sans tête visible, des jambes qui valsent à droite ou à gauche, des erreurs ou des photographies ratées ont joué un rôle important et lui ont permis d’admettre que des ratages sont créatifs et d’accueillir l’accident en le revendiquant comme tel. » Dès lors, Le Querrec – plus que dans les théories – a appris « à apprendre » comment une trace, une vue premières permettent de bâtir un langage photographique spécifique, qui est né dans le cœur de la Bretagne où est installée la nouvelle maison d’édition. Néanmoins sa responsable, même si elle a choisi des photos de son pays pour son premier livre ne va pas se limiter – bien au contraire – à un localisme qu’elle sait sclérosant et stérile. Très vite elle va sortir des frontière du terroir local.

Pour l’heure elle a rebondi sur la « poétique de la pirouette » chère à l’œuvre et aux jeux de mots d’un photographe dont le livre va s’accompagner d’un jeu de sept familles à monter soi-même. D’autant qu’en 1977, la couverture de « Quelque Part » (un des premiers ouvrages consacrés au photographe) représentait un jeu de l’oie. Il retraçait l’histoire de sa vie professionnelle depuis la Bretagne jusqu’à Magnum. Mais ce jeu de vignettes à rassembler prouve aussi qu’il existe dans un corpus iconographique un ensemble « à voir et à ranger ». Et c’est pourquoi le montage d’un livre n’est en rien anodin : les images y restent toujours « en repons ». Vieilles images et images contemporaines, photos privées et publiques s’agencent. C’est pourquoi les Editions Autonomes restent un lieu d’élection pour un tel livre. Sa directrice en son exercice de liberté milite pour la primauté du sens sur l’apparence, le tout dans un mouvement perpétuel qui espérons le est promis à de nombreux ricochets, voir des lames de fonds que ce livre (et sans doute ceux qui suivront) mérite.

  • Guy Le Querrec, « Ricochets », éditions Autonomes, Brest, 2018.