cinémas parisiens
Tournages à l’arrêt, sorties de films différées ou reléguées au circuit VOD, festivals annulés : la pandémie du Covid-19 porte un coup inédit au septième art. À l’heure où le confinement accroît la fragilité d’un secteur déjà affaibli par les modes de consommation alternatifs, Zone Critique souhaite rendre hommage aux salles de cinéma. Entre espaces dédiés aux projections presse, et lieux chargés d’histoire, nous vous proposons une visite des plus belles salles de cinéma de la capitale. 

Le cinéma, en tant que lieu, est né 14 boulevard des Capucines, dans le 9e arrondissement, à l’initiative des frères Lumière. Le salon indien du Grand Café, qui a accueilli la première projection publique de l’histoire, fait aujourd’hui partie de l’hôtel Scribe. Un quartier cinéphile, puisque l’hôtel voisin, le Café de la Paix, abritait des années durant la conférence de presse officielle du Festival de Cannes. Dans le cadre de l’exposition Lumière ! Le cinéma inventé (Grand Palais, 2015), Thierry Frémaux, son délégué général, citait le plus inventif des deux frères :

« Si j’apprenais un jour qu’avant l’ouverture de la salle de projection du Grand Café du 28 décembre 1895, il eût été possible à quelqu’un de dire ‘Je suis allé au cinéma’, je serais le premier à rendre hommage à l’auteur de l’appareil ayant provoqué une telle déclaration », Louis Lumière.

Les projections presse

En marge des salles publiques, la capitale possède un réseau de salles dédiées aux journalistes. Les longs métrages que la presse ne découvre pas en festivals y sont projetés en avant-première. En de rares occasions, ces projections peuvent être soumises à embargo, avec obligation de laisser son téléphone à la consigne, selon la politique du studio. Si les projections presse ont évolué avec le temps et si certains distributeurs jouent la carte de l’événementiel en misant sur des lieux insolites, l’essentiel des séances a lieu dans des hôtels, des clubs, ou directement au sein de la société de distribution qui sort le film.

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Pour la plupart localisées dans le quartier des Champs-Élysées, ces salles sont le repère familier des critiques de cinéma. Ces projections marquent l’entame du parcours d’une œuvre et permettent aux attachés de presse de jauger les premières réactions.

Le Club 13

Réputé, dans le milieu, pour avoir les meilleurs fauteuils en cuir mou des salles de la capitale, le Club 13 ne pardonne aucune longueur aux films, car le confort est tel qu’il est tentant de s’endormir ! Créé par Gilles Lelouch en 1968, il a été pensé comme un lieu complet. Lelouch confiait  à nos confrères du Figaro : « J’ai décidé d’investir dans le cinéma… pour lui renvoyer l’ascenseur, en quelque sorte [après le succès d’Un homme et une femme]. J’avais l’idée de créer une maison du cinéma à Paris, dans laquelle les amateurs de cinéma se sentiraient chez eux. Et surtout, je voulais ma propre salle de projection pour voir les films directement chez moi ». Agrémenté d’un restaurant, de deux salles de projection, et de cinq salles de montage, le club accompagne l’expérience cinématographique du début à la fin. Il abrite aussi les bureaux de la société de l’actuel président d’honneur de l’ARP, ainsi que son atelier de formation des jeunes professionnels. En plus de cinquante ans d’existence, le QG du réalisateur lui a surtout permis de recevoir des homologues de renom, à l’image de Charlie Chaplin, Stanley Kubrick, ou de Martin Scorsese.

Le Royal Monceau

Situé avenue Hoche, Le Royal Monceau jouxte le Club 13, mais est bien moins discret que le club de Lelouch, auquel on accède par une petite allée confidentielle. Outre le fait que Céline Dion ait l’habitude d’y séjourner, l’hôtel Royal Monceau dispose de sa propre salle de projection, allant jusqu’à fournir des cornets de popcorns estampillés RM. Les palaces équipés de ce type de salles font se télescoper le monde des journalistes avec une clientèle qui ignore souvent qu’au-dessus de son spa la critique française juge les films de demain.

Royal Monceau
Par ailleurs, pour amorcer la phase promotionnelle faisant suite aux projections presse, il est d’usage d’organiser des interviews vidéo. Celles-ci prennent souvent la forme de junkets à l’américaine, c’est-à-dire que les médias se succèdent face au talent – ainsi nommé par les attachés de presse – avec une affiche du film comme décor. Ces interviews se déroulent dans des hôtels, où un couloir est réquisitionné afin d’installer la presse dans un salon d’attente, et chaque interviewé dans une chambre. Le Fouquet’s, le Bristol, ou le Mandarin Oriental en font partie, avec possibilité de tenir des conférences de presse. Ces dernières années, Londres vole toutefois la vedette à Paris, en ayant l’apanage de la promotion européenne des grands films américains.

Le Club de L’Étoile

La salle à l’italienne du Studio de L’Etoile, datant des Années Folles, a été le théâtre des premières projections françaises de films japonais, et sera ensuite choisie par Henri Langlois comme salle clandestine de projection des films censurés pendant la Seconde Guerre mondiale

Faisant partie des salles privatisables les plus abordables de Paris, le Club de l’Étoile est autant plébiscité par les gros distributeurs que par des réalisateurs plus modestes, ainsi en mesure de porter leur film à l’écran le temps d’une séance. En contrebas du carrefour de l’Étoile, qui lui a donné son nom, le club s’est d’abord appelé le Studio de l’Étoile. Sa salle à l’italienne datant des Années Folles a été le théâtre des premières projections françaises de films japonais, et sera ensuite choisie par Henri Langlois comme salle clandestine de projection des films censurés pendant la Seconde Guerre mondiale. Opérant sa mue art et essai au cours de la décennie suivante, la salle s’ouvre aux performances live des sixties, avec les tours de chant d’Édith Piaf ou d’Yves Montand. Un consortium de professionnels du cinéma acquiert le studio en 1985, qui devient le Club de l’Etoile et se diversifie désormais autour de séances jeunes public, ou de rencontres cinématographiques. La journée dédiée au cinéma britannique de l’Industrie du Rêve, dont nous vous parlions dans notre article sur le Brexit s’y est tenue.

ARP Sélection

UGC Distribution, Warner Bros., ou Pathé comptent parmi les studios qui organisent des projections in situ dans leurs propres locaux. Notre préférence va toutefois à la société indépendante ARP Sélection, qui reçoit la presse dans un espace soigné, offrant des conditions de visionnage sans pareilles. Une fois la cour intérieure franchie, on pénètre dans une salle presque aussi agréable que celle du Club 13. Comportant peu de sièges, elle donne à chaque projection un caractère unique. Au catalogue de la société, les films de cinéastes émergents ou confirmés constituent un éventail d’œuvres éclectiques. L’une des prochaines en date attire déjà notre attention : Mano de Obra, un drame mexicain qui signe le premier passage derrière la caméra de David Zonana, fidèle collaborateur de Michel Franco (Les Filles d’Avril). Habituellement, Franco est à la réalisation et Zonana à la production, mais cette fois les deux hommes ont échangé les rôles.

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Le Gaumont Marignan

Bien connu des spectateurs parisiens, le Gaumont Marignan des Champs-Élysées a beau n’être doté que de six salles, son emplacement à l’entrée des Champs en fait une belle vitrine pour le groupe, dont le slogan rappelle la longue histoire : « Depuis que le cinéma existe ». Ouvert en 1933, le Gaumont Marignan est plus récent que les 125 ans du septième art, mais s’est ancré dans le paysage cinématographique de la capitale. Situé à quelques encablures du Club Marbeuf de la rue éponyme, il sert autant aux projections publiques qu’aux projections presse, ainsi qu’aux avant-premières et aux rendez-vous événementiels qui jalonnent l’année des professionnels du cinéma. On pense notamment au Showeb, dédié aux médias en ligne, ou au Champs-Élysées Film Festival, qui se tient dans une dizaine de salles de la célèbre avenue et qui sera cette année entièrement numérique.

Les projections publiques

Paris regorge de lieux et de cinémas singuliers. Peu d’entre eux rivalisent avec La Pagode, une salle d’inspiration japonaise construite en 1896, un an après l’invention du cinéma, et fermée pour une durée incertaine en raison de travaux. Pour autant, le cinéma d’antan est encore bien représenté dans la capitale. Il n’a pas à pâlir devant les espaces plus récents, qui proposent des conditions de visionnage allant jusqu’à la 4D.

Le Grand Rex

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A la fois ancien et moderne, le Grand Rex est, comme son nom le suggère, l’un des plus grands cinémas d’Europe. Cette institution familiale à la façade Art déco s’est imposée par son gigantisme et a su abattre d’autres cartes pour se diversifier. Proposant une flopée de concerts, spectacles et conférences, le Grand Rex a aménagé un espace muséal invitant le public à découvrir son histoire presque centenaire. Baptisé « le grand large », son écran de 25 mètres supplante l’Auditorium Lumière du Palais des Festivals de Cannes. Il en va de même pour sa capacité d’accueil, puisque la grande salle devance Cannes de 400 sièges, en totalisant 2.700 places assises. D’aucuns déploreront le caractère très grand public de ce cinéma, qui programme surtout des blockbusters en version française. N’oublions pas, cependant, que le cinéma est un art populaire depuis ses origines, puisque les premières vues animées étaient montrées dans des foires.

Le Cinéma des cinéastes

Situé Avenue de Clichy, le Cinéma des cinéastes est un ancien cabaret du XIXe siècle, acquis par la Société civile des Auteurs Réalisateurs Producteurs, il y a près de 25 ans. Créée par Claude Berri, l’ARP regroupe des professionnels qui défendent la création cinématographique indépendante. Avec Fanny Ardant comme marraine, le lieu rivalise d’atouts pour séduire un public pointu : programmation art et essai, Bistrot des cinéastes où prendre un verre en refaisant le film, escalier en colimaçon. La salle Étienne-Jules Marey jouit d’une architecture saisissante, avec une structure en métal non sans rappeler celle de la Tour Eiffel. Claude Lelouch est également impliqué auprès de cette salle, puisqu’il est Président d’honneur de l’ARP.

Le Louxor

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Classé monument historique, le Louxor – de son nom complet Louxor Palais du cinéma – trône sur Barbès en faisant briller ses dorures jusqu’aux fenêtres du métro aérien. Visible entre les stations Anvers et Barbès, sa façade ornée de hiéroglyphes égyptiens détone dans ce quartier populaire, où le magasin Tati accaparait toute l’attention jusqu’à la rénovation de ce cinéma, et sa réouverture au public en 2013. Inauguré à l’origine en 1921, il est le reflet de la tendance architecturale orientale du début du XXe siècle, comme en témoignent les dômes néo-byzantins du Sacré Cœur voisin. Un temps cinéma exotique, puis night-club, il est laissé en jachère à la fin des années 1980. Sous l’impulsion conjointe de l’association Action Barbès et de la Ville de Paris, le Louxor retrouve enfin ses lettres de noblesse, quasiment un siècle après qu’Henri Zipcy lui ait donné vie. Loin de se reposer sur sa splendeur, le cinéma mise sur un programme d’avant-premières, rétrospectives, expositions, et débats qui font se déplacer les cinéphiles de tout Paris.

Le bastion du Quartier latin

Repère des amoureux des films de patrimoine, le Quartier latin regroupe une grande densité de salles dédiées aux films anciens. Dans la rue Champollion, qui mène à la Sorbonne, Le Champo, le Reflet Médicis, et la bien nommée Filmothèque du Quartier latin se taillent la part du lion. Un peu plus loin, le Cinéma du Panthéon est le détour obligatoire des aficionados de la Nouvelle Vague qui, entre deux films, peuvent s’approvisionner en livres de cinéma à la Librairie du Panthéon. Celle-ci organise par ailleurs des rencontres, et soutient les revues spécialisées à l’instar de Ciné-Bazar. Les 3 Luxembourg, le Saint André des Arts, et le Grand Action complètent cet ensemble de cinémas art et essai, sans oublier l’Espace Saint-Michel, où l’ACID a souvent quartiers libres.

Les cinémas Mk2

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À cheval entre programmation pointue et films grands publics, le groupe Mk2 s’est démarqué de Gaumont et UGC, les éternels rivaux. Avec de courts métrages en avant-films, et plusieurs multiplexes dotés de boutiques culturelles, ou de sièges à accoudoir amovible façon canapé, Mk2 a réussi à imposer une identité forte. Celle de son fondateur, Marin Karmitz, qui a ouvert sa première salle en 1974, le Mk2 Bastille. Aujourd’hui dirigée par ses fils Nathanaël et Elisha, sa flotte compte l’exigeant Mk2 Beaubourg, et le novateur Mk2 Bibliothèque. Ce cinéma, attenant à la BnF, témoigne de l’audace de la famille Karmitz, qui mise sur la réalité virtuelle avec une annexe VR. La vitrine de la société reste les deux cinémas qui se font face sur les rives du Canal de l’Ourcq. À la nuit tombée, l’œil averti repérera un détail qui a son importance pour l’ancien émigré roumain qu’est Marin Karmitz : les néons bleus du Mk2 Quai de Seine et les néons rouges du Mk2 Quai de Loire dessinent un drapeau tricolore dans l’eau du canal.

Cadet du groupe, le Mk2 Petit Palais a une programmation restreinte. Pour autant, son manque de notoriété le place dans la catégorie des cinémas qu’il est bon d’inscrire à son carnet d’adresse. Il a le double avantage d’éviter les longues queues et de proposer des films qui ne sont parfois plus à l’affiche ailleurs.

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Autant de lieux qui nous donnent envie de retrouver nos chers fauteuils rouges ! Jusqu’à présent, seules des invasions de punaises de lit conduisaient à la fermeture temporaire de cinémas. La phase progressive de reprise d’activité, que l’industrie culturelle souhaite, est encore à définir. Le 11 juillet avancé par la FNCF – Fédération Nationale des Cinémas Français – « permettrait deredémarrer un mercredi, jour traditionnel des sorties », souligne le président du Festival de Cannes Pierre Lescure. D’ici-là, rendez-vous est pris du 29 mai au 7 juin pour « We Are One ». Un événement inédit regroupant une vingtaine de festivals internationaux autour de la diffusion de films anciens et récents sur YouTube. À noter que Cannes s’allie à ce projet initié par Tribeca, le festival de Robert De Niro.

Avant de se réinstaller dans une salle obscure, laissons-nous porter par l’émotion des films exceptionnellement disponibles en streaming. Plusieurs catalogues se distinguent :

La VOD n’est pas en reste. Pour étayer le thème du méta-cinéma, nous recommandons le merveilleux Cinema Paradiso de Giuseppe Tornatore, et Chacun son cinéma, film choral de Gilles Jacob célébrant le soixantième anniversaire du Festival de Cannes.

Enfin, le CNC consacre un panorama national aux salles inscrites aux monuments historiques.

Même confinés, rendons la culture vivante avec Zone Critique !