© Jeremie Bernaert

En ces temps de fermeture des salles, la rédaction de Zone Critique a le privilège d’assister à huis-clos aux représentations du festival Impatience, qui nous fait rencontrer les nouvelles voix du théâtre émergent. Aujourd’hui c’est au tour de The Jewish Hour : satire médiatico-politique sous forme de talk-show dopé à la fierté juive, le spectacle de Yuval Rozman détonne par son humour décapant et la férocité de ses propositions.

The Jewish Hour nous entraîne immédiatement dans un tourbillon médiatique sans temps mort.

Sur un plateau de radio aux couleurs bleue et blanche du drapeau israélien, Stéphanie Aflalo et son frère Kevin (Romain Crivellari) à la régie accueillent le public pour le premier épisode d’une nouvelle émission francophone consacrée à la célébration de l’identité juive, The Jewish Hour. Classe et souriante derrière son micro, la présentatrice à la voix suave donne le ton de cette émission pas comme les autres, en déroulant son sommaire éclectique : invités exceptionnels,chansons, infos, parasha de la semaine (lecture commentée d’un extrait de la Torah – ici agrémentée de jolies photos des paysages de Judée façon PowerPoint), et discussion sur l’antisémitisme en France sont au programme. Le tout bien entendu entrecoupé d’appel aux dons des auditeurs afin d’aider à financer la production de l’émission. The Jewish Hour nous entraîne immédiatement dans un tourbillon médiatique sans temps mort, au ton délicieusement ironique et pince-sans-rire, politiquement pas très correct, et c’est drôle, très drôle.

© Jeremie Bernaert

Sur le plateau, trois invités (tous joués de manière hilarante par Gaël Sall) se succèdent au micro de Stéphanie Aflalo : un rabbin, un gymnaste ukrainien dont on ne pipe pas un mot, et, surtout, le plus attendu des trois, le philosophe Bernard-Henri Lévy, en panoplie complète veste de costume, chemise blanche et perruque du plus bel effet. Venu présenter la traduction de son ouvrage L’Esprit du judaïsme en hébreu, l’écrivain enchaîne pitreries sur pitreries, ne répond pas aux questions, joue avec les nerfs de la journaliste en lui lançant des quartiers de mandarine au visage, est parfois à la limite du harcèlement sexuel et pique une crise lorsqu’elle veut résumer son livre (« le livre qui donne la pêche d’être juif !»), plongeant progressivement l’émission dans le chaos.

Difficile dans ces conditions d’aborder la douloureuse question de l’antisémitisme latent en France, d’autant plus quand BHL se lance au contraire dans un réquisitoire contre le nationalisme de l’Etat d’Israël. Les sujets graves sont là, bien présents, et infiltrent l’émission, malgré l’imperturbabilité de Stéphanie Aflalo lorsqu’elle annonce au flash info, juste après l’incroyable proportion de Juifs parmi les Prix Nobel de l’année, les tirs de roquettes de Gaza et les représailles de l’armée israélienne. Si le rire désamorce la gêne et la tension pendant une bonne moitié de la pièce, il ne survit pas à un événement soudain qui provoque une rupture radicale de ton.

Si le rire désamorce la gêne et la tension pendant une bonne moitié de la pièce, les sujets graves sont bien présents.

Du comique mordant, le spectacle bascule alors dans le malaise : la violence plonge la scène dans le noir, l’esprit du judaïsme lui-même s’adresse à nous très crûment et sans aucun filtre depuis l’écran de télé, les rideaux bleus tombent, et l’illusion du joyeux talk-show avec eux. Derrière, sous une grande étoile de David en néons clignotants, les trois acteurs devenus musiciens déversent toute leur énergie et leur rage dans un morceau survolté, avant de conclure par un magnifique chant en hébreu.

Même sans maîtriser complètement les enjeux, ni bien connaître tous les éléments de la culture juive auxquels il est fait référence, la pièce impeccablement écrite et interprétée nous captive et nous tient concernés. Depuis son humour acide et irrésistible jusqu’à son final explosif, The Jewish Hour de Yuval Rozman fait rire, interroge les contradictions du judaïsme au XXIème siècle, s’attaque aux clichés avec férocité, et ne laisse décidément pas indifférent.

The Jewish Hour se jouera (normalement…) au Théâtre Monfort du 19 au 27 mars 2021.