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Devenir Immortel sous la Coupole peut représenter un sacerdoce. D’une certaine manière, l’écrivain devient un Écrivain consacré. L’on croit que longue est la route pour pénétrer le collège des Quatre-Nations, sacro-sainte institution qui réunit les penseurs de la Langue française. Quels sont les mystères de la Coupole ? Que doit endurer le prétendant pour que lui soit révélé le velours vert du siège qu’il convoite ? Cela paraît simple. Et pourtant… 

Sur les quais de Conti, à l’ombre de la Coupole qui se dresse depuis maintenant 385 ans grâce au cardinal Richelieu, une foule d’illustres se presse, toute d’olivier vert vêtue, pour accueillir en leur intellectuel sein un Immortel qui s’apprête alors à régaler les oreilles d’une assemblée, triée sur le volet, par un discours longuement mûri pour honorer non seulement ses pairs mais aussi, et surtout, la Langue française. Les frères Goncourt, dans leur Journal, relatent les épreuves – devrions-nous dire les mystères ? – de Théophile Gautier pour pénétrer l’élite française : 

« Elle [La candidature] n’a pas la moindre chance, dit Sainte-Beuve, il lui faudrait un an de visites, de sollicitations, aucun des académiciens ne le connaît… Voyez-vous, le grand point, il faut qu’ils vous aient vu, qu’ils aient fait connaissance avec votre figure… Une élection, sachez-le bien, c’est une intrigue, — une intrigue dans le bon sens du mot, […] Voyons, et il compte sur ses doigts, il aura Hugo, Feuillet, Rémusat… Vitet, je crois… Il faudrait par exemple qu’il les voie beaucoup, ces deux derniers-là… Si c’était bien mené, il aurait peut-être Cousin… »

Si l’on peut être amusé par une telle anecdote qui nous raconte les péripéties de Théophile Gautier pour entrer à l’Académie française, nous sommes invités à nous interroger sur les conditions d’entrée dans cet institut. On aura vu, à notre siècle, quelques polémiques autour de l’entrée de certains académiciens comme celle d’Alain Finkielkraut ou encore celle du Président de la République Valéry Giscard d’Estaing dont les qualités littéraires, dans ses quelques romans, peuvent être discutables. Ainsi, que faut-il avoir fait pour entrer à l’Académie française ou plutôt qui faut-il être ? 

« Je ne t’ai jamais dit, mais nous sommes Immortels »

À regarder les statuts de l’Académie française, rien ne paraît contraindre une personne à poser sa candidature pour occuper un siège déclaré vacant après la mort d’un académicien. Comme le signale le site de l’Académie, aucune condition de titres ou de nationalité n’est exigée. Seule la date limite de candidature est fixée à un délai de deux semaines avant l’élection qui a lieu, généralement, trois mois après la déclaration de vacance d’un siège, ainsi que l’âge des candidats qui doivent avoir moins de 75 ans à la date du dépôt de leur candidature. Ainsi, aucune règle ne vient empêcher quiconque qui désirerait revêtir l’habit d’académicien. 

Néanmoins, comme le rappellent les premiers statuts de l’institution créée sous le roi Louis XIII : « Personne ne sera reçu dans l’Académie qui ne soit agréable à Monseigneur le Protecteur et qui ne soit de bonnes mœurs, de bonne réputation, de bon esprit et propre aux fonctions académiques ». Le bien nommé Protecteur n’était autre que le cardinal de Richelieu. Aujourd’hui, chaque chef d’État français obtient cette qualité et doit approuver ou non l’élection d’un membre de l’Académie qui vient alors rejoindre les quarante membres, dont un Secrétaire perpétuel qui représente la Compagnie. Il est intéressant de noter que dans ces statuts soient indiquées des dispositions plus morales qu’intellectuelles. Autrement dit, l’Académie semble privilégier l’esprit, français bien évidemment. 

Dès lors que le prétendant se voit honoré par ses pairs et approuvé par le Protecteur, celui-ci est reçu par un comité restreint, à huis-clos, avec ses deux parrains. Lors de cette institution, il lit son discours et reçoit celui qui lui est adressé ainsi qu’un mot du dictionnaire, symbole, si l’on peut dire, de sa mission au sein de l’Académie française. Le Mot apparaît alors comme une médaille que l’on va chérir, penser et porter avec fierté, comme l’est la médaille – elle véritable – frappée de la devise « À l’immortalité ». Xavier Darcos avait d’ailleurs expliqué ce qu’elle représentait pour lui : « faire du français, une langue incontestable, intouchée, prestigieuse, rayonnante, normée… de sorte qu’on puisse la transformer en idiome universel. ». Autrement dit, il s’agit d’être un garant et un défenseur de la langue française, ici et ailleurs. 

Débute ainsi un temps initiatique de plusieurs mois qui permet au nouvel académicien d’appréhender les us et coutumes de sa compagnie avant d’apparaître en cérémonie publique. L’événement est beau, grand, noble, dernier vestige d’une République qui conserve les ors de ses cérémonies d’État. Le célèbre discours de remerciement, qui devient ainsi littérature, est alors prononcé devant l’assemblée. Il fait partie des convenances officieuses et ce depuis Olivier Patru, avocat et écrivain, qui régala l’assistance de ses paroles prononcées, ce qui fit dire à Pellisson, homme de Lettres, qui écrivit plusieurs ouvrages d’Histoire dont un sur l’Académie depuis sa fondation : « À sa réception, Patru prononça un fort beau remerciement dont on demeura si satisfait qu’on a obligé tous ceux qui ont été reçus depuis d’en faire autant. »

Ainsi, accéder à l’Académie française relèverait d’un art de la cour, d’un art de la flatterie qui avantage le prétendant, tout courtisan habile qu’il est. L’Académie française semble inébranlable dans son fonctionnement et ses usages

Ainsi, accéder à l’Académie française relèverait d’un art de la cour, d’un art de la flatterie qui avantage le prétendant, tout courtisan habile qu’il est. L’Académie française semble inébranlable dans son fonctionnement et ses usages. Lisons, à ce propos, et pour saisir les ressorts officieux de l’entrée dans l’institut, les mots de Théophile Gautier qui se désespère de ne pas réussir à entrer à l’Académie française : « ‘’ Au fond il y a un grand mystère autour de moi… Je suis aimé, sympathique. Je plais généralement. Je n’ai pas d’ennemis. J’ai un talent qui est reconnu… Eh bien ! voulez-vous me dire comment il se fait que tout ce que les autres obtiennent, moi c’est impossible !… On me dit que je ne demande pas… Ce n’est pas ça… Il y a quelque chose dont je ne me rends pas compte…’’ »

Lettres de noblesse : C.V. et lettres de motivation.

Le prétendant au siège vacant, après avoir été recommandé, puis après avoir envoyé sa lettre à Madame le Secrétaire Perpétuel de l’Académie, se doit d’envoyer une lettre à chaque académicien. L’exercice est ardu, subtil, habile, car il doit séduire sans trop en faire, convaincre sans trop en dire. Dans cette société du bon mot et des convenances, l’on n’est jamais à l’abri d’une parole risquée, celle qui peut vous faire valoir un siège, par exemple. Il est aussi de coutume de proposer à chaque académicien une visite de courtoisie qui n’est pas sans faire penser à celles que les courtisans se donnaient entre eux pour témoigner de sa bonne pensée. Cependant, elle n’est pas une obligation, elle est un usage. Florence Delay, écrivain et académicienne, partageait son refus de recevoir de manière privée le futur candidat : « L’usage recommande ce que le règlement interdit, le règlement interdit la visite, mais l’usage le recommande. Donc certains se réfugient derrière le règlement et d’autres se soumettent à l’usage. »

Les convenances qui échoient au futur candidat semblent être un exercice de séduction, un art de la flatterie qui, par la maîtrise d’une pensée bien décantée et d’un mot bien pesé, vous ouvre les portes de la Coupole. Rappelons-nous le mot de Sainte-Beuve qui, à propos de la candidature de Théophile Gautier, parle d’« intrigue » à la manière de celles qui ont fait vibrer la cour de Versailles au Grand Siècle ! Ou Sainte-Beuve, encore, qui, se confiant aux Goncourt sur les rouages de l’Académie, dit : « Ils [Les académiciens] ne connaissent pas un nom nouveau depuis dix ans… Et puis l’Académie a une peur atroce, c’est la peur de la bohème. Quand il n’ont pas vu un homme dans leurs salons, ils n’en veulent pas. Ils le redoutent. Ce n’est pas un homme de leur monde… »

L’entrée à l’Académie semble relever donc d’un art de la cour, mais aussi de politique. Il ne faut pas être inconnu, mais un bon curriculum vitae ne suffit pas. Le président de la République Valéry Giscard d’Estaing avait-il donc, par exemple, le profil de l’habit vert ? Oui, certainement si l’on prend en compte non sa carrière littéraire mais sa carrière politique qui le fit devenir Protecteur de l’Académie lorsqu’il était à l’Élysée. Par ailleurs, Valéry Giscard d’Estaing n’avait pas suivi les usages des visites, mais s’était fendu d’une simple lettre envoyée pour informer de sa candidature. Maurice Druon, ancien académicien, avait d’ailleurs été très sec lors de l’entrée de Valéry Giscard d’Estaing sous la Coupole. Les bruits avaient été nombreux, ce qui fit dire au journaliste et écrivain Jean-Marie Rouard dans son discours de bienvenue : « C’est un lieu paisible même si la porte d’entrée vous a paru émettre quelques grincements. »

La nomination d’Alain Finkielkraut avait fait aussi grincer des portes et des dents et là, non pas à cause de son absence de carrière littéraire, car le philosophe est tout de même reconnu pour avoir une plume, une réflexion magnifique lorsque l’on lit ses ouvrages sur l’amour notamment. Là, les « grincements » étaient d’ordre politique et l’on sait la propension du philosophe à se montrer réactionnaire, provocateur et politiquement incorrect. Le profil était donc à l’opposé de ce que cherche l’Académie française : s’affranchir de son image passéiste. Autrement dit, se dépoussiérer. Nous pourrions citer de nombreux académiciens dont la place à l’académie est contestable, à cause d’une carrière littéraire discutable ou d’une réputation peu glorieuse, mais force est de constater qu’ils y sont ou qu’ils y furent : le maréchal Pétain et Charles Maurras ont été académiciens et exclus des rangs de l’Académie en 1945, Paul Morand, antisémite et ambassadeur de l’État français de Vichy s’est vu fermer les portes de l’Académie par le général de Gaulle puis, finalement, a été accueilli en 1968.

Ainsi, que faut-il vraiment pour entrer à l’Académie ? Il semblerait que ce soit alors le savant mélange d’une bonne lettre de motivation et d’un bon curriculum vitae. Autrement dit, il faut autant paraître bon que beau. Néanmoins, ce qui lie tous les académiciens est bien l’amour de la langue française et l’idée de faire partie d’une Institution qui semble pérenne. 

Un amour de la langue ?

Dans une émission de radio de 1966 intitulée « Permanence de l’Académie », le Secrétaire Perpétuel de l’Académie Maurice Genevoix, grande voix de la Grande Guerre avec son œuvre Ceux de 14, parlait donc de la Compagnie et de son rôle qui doit assurer la permanence de valeurs intellectuelles et artistiques. Il rappelle par ailleurs l’extrême diversité des profils des académiciens et rappelle aux auditeurs qu’il ne faut pas croire que l’Académie française est une assemblée constituée uniquement d’Hommes ou de Femmes de Lettres. Ainsi, aujourd’hui, l’Académie française regroupe vingt écrivains, cinq historiens, quatre philosophes, trois hauts fonctionnaires, un avocat, un biologiste, un médecin et un ecclésiastique. Par ailleurs, notons que la nationalité française n’est pas une condition pour prétendre à un siège. Le point commun de tous ces titulaires est leur maniement de la langue, leur passion de la langue et leur profond désir de la penser.

Dans cette même émission, Maurice Genevoix dit une chose tout à fait intéressante et qui fait écho aux tourments qui font vibrer la Coupole avec la féminisation des mots : « Je crois que pour un enrichissement et pour la permanence elle-même, il est nécessaire qu’il y ait des ruptures, des attentats, des agressions. Je ne crains rien de cet ordre-là. » Pourrait-on alors penser que Maurice Genevoix n’aurait pas été contre la féminisation de la langue française ? Sujet brûlant sous la Coupole et qui a encore fait frémir les esprits lors de la féminisation du virus devenu alors la Covid-19. Pourrait-on, aussi, voir un chanteur ou un comédien entrer avec sa verve sous la Coupole, à l’instar de Fabrice Luchini dont la candidature avait été évoquée il y a maintenant trois ans ?

Les académiciens, honorables garants et défenseurs de la Langue française, se doivent, outre de renouveler le dictionnaire lors des sessions du jeudi, d’être modernes. Il faut entendre, alors, que les académiciens doivent penser la société et voguer avec elle. Précieusement retranchés derrière les murs du Collège des Quatre-Nations, les Académiciens ne semblent pas tous « de bon esprit », pour reprendre les premiers statuts de l’institution, et paraissent sourds aux questionnements, confirmant alors la réputation de l’Académie française auprès du grand public, fort malheureusement. 

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Entrer à l’Académie française n’est pas une chose anodine. Elle est un prestige, une reconnaissance de la pensée et de l’esprit français. Cependant, aux yeux des mortels, l’Académie française paraît si éloignée de nous, cultivant un entre-soi et un monde d’antan. Pourtant, elle est un temple que l’on devrait adorer, où l’amour de la langue devrait être cultivé et non pas jalousement gardé.