(c) Caspevi

Zone Critique a pu assister, sur la scène du Grand Parquet, à la dernière création de Céline Milliat Baumgartner, artiste associé au LAB du Préau CDN de Normandie-Vire. Marilyn, ma grand-mère et moi est un « seule-en-scène » (avec l’accompagnement du pianiste Manuel Peskine) écrit et interprété par Céline Milliat Baumgartner où l’actrice entremêle les destins de trois femmes : la légende de la star hollywoodienne ; l’histoire méconnue de la grand-mère qui a transgressé ; la comédienne au plateau en train de se construire.

Trois femmes

Il y a des êtres qu’on ne désigne que par leur prénom, leur surnom. Qui n’existent que par eux. Dont la légende découle d’eux. C’est le cas de Marilyn. C’est aussi le cas de Mamie (ou Mémé, ou encore Grand-Mère). Et puis il y a soi, soi-même, l’être avec qui on va passer toute sa vie, si proche, si lointain. La femme que l’on est, que l’on découvre au fur et à mesure, que l’on aime, que l’on déteste, qui nous trahit, qui nous porte. Céline Milliat Baumgartner a écrit un texte où évoluent en parallèle ces trois figures de femmes et pose la question fondamentale : comment se construit-on en tant qu’être libre ? Le chemin est jalonné d’obstacles, et de soumissions : soumission au regard de nos supérieurs, de nos maris, de nos pairs, des autres femmes, de nos enfants. Soumission au regard de la société, à l’exigence de cette société patriarcale envers les femmes : tu appartiendras à ton père, puis à ton époux, enfin à tes enfants, fruits naturels de ton mariage unique.

Ni épouse fidèle, ni mère aux petits soins, ni femme comblée. Ni Marilyn, ni grand-mère, ni moi.

Alors que se passe-t-il quand ces cases fabriquées à l’emporte-pièce et appliquées au petit-bonheur-la-chance ne correspondent pas, que se passe-t-il quand on déborde la case ? Divorce, stérilité, fausses couches, sexe hors mariage, autisme, abandon du foyer, dépression, comportements autodestructeurs : les femmes au plateau ne correspondent en rien à la figure créée de toute pièce et ex-nihilo de « La Femme Parfaite ». Ni épouse fidèle, ni mère aux petits soins, ni femme comblée. Ni Marilyn, ni grand-mère, ni moi. Et c’est là que se situe le travail dramaturgique qu’a effectué Céline Milliat Baumgartner : celui d’accepter la personne que l’on est, unique et différente.

(c) Caspevi

« C’est ce qu’on appelle un curetage. »

L’actrice va venir disséquer face public, au micro ou au piano, les différentes facettes de ces femmes, au passé, qui ont participé de sa construction, au présent. Dans une mise en scène habile où trône en fond de scène et majesté une armoire magique s’ouvrant tour à tour sur une garde-robe de nourrisson qui ne naîtra jamais ou sur la scène de train entre Sugar et Joséphine dans Certains l’aiment chaud, ou encore une salle d’opération dans laquelle la patiente subira une interruption volontaire de grossesse effectuée par son chirurgien de petit-ami (« C’est ce qu’on appelle un curetage », précisera-t-elle, les pieds dans les étriers), Céline Milliat Baumgartner raconte à trois voix ce que c’est qu’être femme. Il y a beaucoup de maladresses et parfois le texte ne fait pas mouche, mais la scénographie est intelligente – on aime particulièrement ce meuble monumental de maison de grand-mère qu’on ouvre, qu’on ferme, qu’on claque, qu’on enlace et le néon de lumière qui entoure et soutient la femme qui prend la parole – et surtout on est transpercé d’émotion quand le discours n’est plus pris en charge par une tierce personne, mais qu’il devient direct : quand on entend la voix de Marilyn.

Sois belle, tais-toi et surtout, surtout, ne dévie pas, car tu seras punie.

Son souffle, ses hésitations, ses sourires silencieux. Le ventre se tord et on ne peut faire autrement que d’être ébranlé par ce timbre si particulier qui contient en lui seul toutes les injonctions insurmontables et insupportables qu’on impose aux femmes : sois belle, tais-toi et surtout, surtout, ne dévie pas, car tu seras punie. On a envie de dire à ces femmes de la lumière, à ces femmes de l’ombre et à ces femmes à naître – et à soi aussi – qui sont malades d’attention, de tendresse, de bienveillance (« Personne ne me touche, moi. Personne ne m’embrasse. Personne ne me désire. ») que ça va aller. On a envie de les prendre par la main, de les rassurer et de faire en sorte que le monde de demain soit celui de toutes les femmes, où, comme dit la chanson (préférée de Marilyn et celle de l’enterrement de la grand-mère) les rêves dont on a rêvé se réalisent, où les ennuis fondent comme des gouttes de citron, un monde merveilleux fait à la fois d’ombre et de lumière.

  • Marilyn, ma Grand-mère et moi écrit par Céline Milliat Baumgartner et mis en scène par Valérie Lesort / Production Le Préau CDN de Normandie-Vire / Coproduction Le Bateau Feu, Scène Nationale de Dunkerque Le Vivat d’Armentières, Théâtre de la Manufacture CDN de Nancy.