Iakovos-Rizos-Soiree-athenienne-©-National-Galery-Alexandros-Soutsos-Museum

Au Louvre, dans une certaine discrétion, s’est déroulée la célébration du bicentenaire de la Révolution grecque de 1821. Le président de la République Emmanuel Macron ainsi que le premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis ont eux-mêmes inauguré l’exposition le 29 septembre dernier, preuve que cette exposition, au-delà de la beauté des œuvres exposées, est l’expression de l’amitié qui lie la France et la Grèce. Fasten your seatbelt, direction Athènes.

Une plongée dans l’histoire grecque à travers l’art.

Tout commence au XVIIᵉ siècle, bien avant l’indépendance de la Grèce en 1821.  Les premières salles s’ouvrent sur les écrits et témoignages du marquis de Nointel, ambassadeur de Louis XIV qui a fait escale à la Sublime Porte en 1675. Le visiteur découvre alors une perception quelque peu éloignée de l’idée que l’on a construite au XIXᵉ siècle. En effet, la Grèce, alors sous l’emprise ottomane, apparaît comme un territoire délaissé de l’empire Ottoman. La première entrée dans l’exposition est donc historique jusqu’à évoquer l’influence byzantine et l’évolution des icônes orthodoxes dans la deuxième salle.

Pascal Sebah, Temple de Jupiter Olympien et l’Acropole, © B.N.F.

Le visiteur est ensuite propulsé en plein conflit contre les Ottomans pour l’indépendance. Débute alors une guerre sanglante entre les deux pays qui aura inspiré les grands peintres romantiques comme Ary Scheffer qui illustre merveilleusement bien la tragédie des femmes souliotes ou encore Eugène Delacroix qui, à l’instar de sa Liberté guidant le peuple, nous offre une Grèce héroïque sur les ruines de Missolonghi. L’enjeu devient alors pour la Grèce de devenir une nation moderne, ouverte sur l’Europe. Elle aspire à se réapproprier son territoire et ses richesses. Ainsi l’essor de l’archéologie fut très important à cette période. Surgit de Milos la Vénus qui, dès le 1er mars 1821 entre au musée du Louvre. La création en 1846 de l’École Française d’Athènes a largement contribué à la découverte des grands ensembles antiques que nous connaissons comme Delphes ou Délos. Cette aventure archéologique fabuleuse a bénéficié de nouvelles technologies comme la photographie qui a permis de la documenter. L’exposition nous offre ainsi de splendides clichés, témoignages émouvants de plusieurs découvertes archéologiques.

L’exposition se poursuit ainsi jusqu’à la fin du XIXe siècle avec l’affirmation de grands noms comme Nikiforos Lytras, Nikolaos Gyzis ou encore Iakovos Rizos et le début du XXe siècle avec un mouvement pictural moderne, le groupe Techni qui a voulu s’affranchir des représentations archétypales de la Grèce.

Ainsi l’exposition est dense pour ne pas dire tentaculaire tant elle concentre des œuvres sur une période aussi étendue et aussi riche. Ce qui nous a été intéressant est ce double regard, cet échange, fructueux, entre les deux pays. On sent les influences autant chez l’un que chez l’autre, témoignage du dialogue éclatant et nécessaire de l’art.

Une admiration : les philhellènes. 

L’exposition Paris-Athènes : naissance de la Grèce moderne présente quelques peintres dont le regard exprime une certaine admiration voire un respect pour la Grèce. L’exposition de 1826 à la Galerie Lebrun, quelques temps après le conflit de Missolonghi, illustre parfaitement la vision occidentale sur la Grèce. Ces artistes, comme Scheffer ou Delacroix ont illustré des scènes issues de la Guerre d’Indépendance afin de témoigner de leur soutien. Ils voyaient aussi dans ce conflit contre les Turcs leurs propres idéaux : la liberté, le droit des peuples…

Eugène Delacroix, La Grèce sur les ruines de Missolonghi, 1826

La chute de Missolonghi, ainsi que la mort de Byron, a nourri les sympathies spirituelles et intellectuelles envers la Grèce. Ainsi, le tableau de Delacroix en est la plus parfaite expression. Une jeune femme, allégorie héroïque de la Grèce, se tient à moitié agenouillée sur les ruines d’un bâtiment effondré et desquelles sort une main ensanglantée. Ses bras ouverts prend à témoin le spectateur de son deuil et de son désespoir. Puis, à l’arrière-plan, sous un ciel orageux, un Turc se tient fièrement devant sa victoire. Ce tableau d’Eugène Delacroix a été peint en 1826 immédiatement après la chute de Missolonghi. Ainsi, les émotions sont vives et témoigne de l’empathie des artistes occidentaux comme Victor Hugo ou Chateaubriand, pour le peuple grec à cette période.

La naissance d’une Grèce moderne 

Nous avons été impressionnés par les peintres grecs exposés. Méconnus par la plupart des visiteurs, ces peintres ont véritablement construit une identité grecque. Les Expositions Universelles les ont consacrés.

Nous évoquerons ainsi Nikiforos Lytras qui représente la grande scène tragique d’Antigone de Sophocle dans laquelle l’héroïne tragique découvre le cadavre de Polynice. Le peintre choisit de représenter le moment clé de la pièce où Antigone fait alors LE choix, celui qui lui sera fatal. Le tableau est résolument tragique. Les couleurs sombres de l’arrière-plan tendent à créer cette atmosphère pesante qui annonce le fatum. L’effet dramatique repose sur le corps ensanglanté de Polynice et une Antigone qui sort de l’obscurité. On ne voit guère son regard, comme si celui avait été englouti par la tristesse. Seule sa main droite est porté à sa poitrine comme pour signaler le désespoir.

Nikiforos Lytras, Antigone devant le corps de Polynice, 1865, 100 x 157 cm. (Détail)

Un autre peintre nous a marqué, dans une veine plus symboliste et décadente : Nikolaos Gyzis. Son Araignée et son Archange, respectivement réalisé en 1884 et 1895, témoignent d’une modernité picturale à la fin du XIXᵉ siècle en Europe. On se rapprocherait ici d’un Munch ou d’un William Blake dans la manière de représenter les figures. Nikolaos Gyzis a fait ses armes à l’École de Munich dont il fut un des maîtres. On comprend alors l’influence impressionniste et symboliste de ses œuvres. Les couleurs sont très éthérées, les mouvements très délicats.

Une grande partie de l’exposition est aussi consacrée à l’histoire de l’art et attire l’attention sur la polychromie de la Grèce antique. Non, les statues et monuments n’étaient pas d’une blancheur immaculée ! Imaginez le Parthénon orné, coloré de bleu et de rouge profond. Les études présentées sont fascinantes ainsi que les croquis qui nous projettent dans une Grèce fort éloignée des clichés.

Nikolaos Gyzis, L’Araignée, 1884

La fin de l’exposition présente le groupe Techni, mouvement pictural né en 1917 et porté par des peintres et critiques d’art, qui se voulait être un groupe artistique avant-gardiste et qui aspirait à s’éloigner des représentations classiques en présentant un regard neuf sur la Grèce, affranchie d’un regard parisien.

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Paris-Athènes : naissance de la Grèce moderne (1675-1919), au musée du Louvre jusqu’au 7 février 2022, est une remarquable exposition par la densité des œuvres et la qualité du sujet présenté. Très bien organisée, l’exposition est un vaste et grandiose panorama de l’élaboration fructueuse d’une identité culturelle et artistique, ce qui confirme alors la nécessité d’un dialogue entre les arts et entre les pays fondé sur des motivations culturelles.