Mike, ancien champion de rodéo, voit surgir dans sa modeste bâtisse son ancien employeur. Ce dernier lui demande un ultime service : retrouver et ramener son fils, Rafa, qu’il a délaissé des années auparavant. Pour ce faire, Mike doit se rendre au Mexique et l’extirper d’un monde en proie à la violence.

Caméra usée

Rentrons immédiatement dans le vif du sujet : Cry Macho est un échec. Ce n’est pas faute d’avoir espéré davantage de l’allure testamentaire que semble se donner le film, de ce nouveau passage devant la caméra de Clint Eastwood ou encore de son envie de moderniser le genre du western à l’aide des apparats du road-movie. Mais, formellement comme conceptuellement, rien ne se tient, faisant de Cry Macho une œuvre tout à fait mineure de son auteur, dont l’image n’a jamais parue aussi impersonnelle et les thématiques aussi artificielles. L’exposition – à la cohérence déjà plus que douteuse (qui accepterait en effet de rendre un tel service après avoir été licencié sans aucun ménagement ?) – est expédiée en un clin d’œil, tout comme la personnalité de Mike, chichement résumée à un ancien métier et à l’esquisse d’un drame familial, lequel n’aboutira qu’à bien peu de choses.

De la même manière, ce qui aurait pu devenir un questionnement, sinon inédit, du moins digne d’intérêt, autour de la frontière mexico américaine, sur sa relative distance physique et son écartèlement politique, sera rapidement abandonné et conclu dans une scène de séparation aussi attendue que vide d’émotions. Cry Macho en vient à ne plus ressembler à un film de Clint Eastwood, dont l’habituel classicisme est ici inapte à créer le moindre discours, la moindre subtilité, tant il est parasité par des personnages archétypaux et des acteurs d’une malaisante médiocrité, peu aidés il est vrai par un scénario qui les place dans des situations aussi improbables qu’inconséquentes. Les péripéties débarquent avec autant d’aplomb et d’inintérêt dans le récit qu’elles sont évacuées quelques scènes plus tard, comme si rien ne s’était passé : coup sur coup, le spectateur verra défiler la police mexicaine, des voleurs de voiture et l’antagoniste principal, sans doute l’homme de main le moins inquiétant du monde, sorte de mafieux de pacotille, ridiculisé par un simple coq. On est loin de Richard Jewell, pourtant vieux de deux ans à peine…

Cry Macho se révèle l’antithèse des derniers films de Clint Eastwood

Cette lente et pénible faillite tient peut-être d’une faiblesse de son metteur en scène, incapable de traiter la bienveillance et l’empathie sans tomber dans une niaiserie quelque peu confondante, alors que cette histoire, ou plutôt cet enfant livré à lui-même, était l’occasion de dresser le portrait d’une jeunesse désorientée, thématique qui manque singulièrement à la cinématographie pourtant riche de Clint Eastwood. Cry Macho se révèle l’antithèse des ses derniers films, si durs envers ses protagonistes et acerbes envers les institutions les plus représentatives de la toute puissance américaine, tout en préservant la subtilité du discours et du sous-texte. Il faut remonter jusqu’à 2009 et Gran Torino pour voir Eastwood s’embarquer dans un récit similaire à Cry Macho. Dans les deux cas, un Clint bourru prend en affection un jeune homme maltraité par la vie. Mais là ou Cry Macho tombe dans une indigeste mièvrerie, Gran Torino, malgré certaines scènes aux tonalités plus douces (et donc, chez Eastwood, un peu naïves), se révélait brutal, tragique, dressant le portrait d’une société impitoyable.

Ultime apparition

Cependant, bien qu’il soit aisé de tirer sur Cry Macho, une imperturbable émotion, presque détachée du métrage, vient naître dans le regard du spectateur. Elle est commune à Cry Macho et aux précédents passages du réalisateur devant la caméra, que ce soit Gran Torino ou La Mule en 2018. Au final, que ce soit Mike, Earl ou Walt, peu importe le nom de quatre lettres affublé à ce même personnage au fil des années, il est impossible de ne pas voir Clint Eastwood, son corps endolori, son visage vieilli, sans penser au fond qu’il s’agit de la dernière fois qu’on croise le regard du dernier grand géant du cinéma américain (auquel l’on souhaite bien évidemment la longévité d’un Kirk Douglas).

Devant la vacuité du film, on se raccroche à ce regard, affaibli probablement mais toujours aiguisé, toujours désireux du cinéma, et qui impose respect et compassion. Ce corps viril et décrépi usé s’inscrit parfaitement dans cette imagerie western complètement surannée (ses coups de poings n’ont plus le même retentissement), mais d’autre part, cette farouche volonté de s’incarner vaille que vaille, d’habiter jusqu’au bout un idéal de cinéma (le vieux loup solitaire) qu’il porte à bout de bras depuis plusieurs décennies nous touche au moment précis où il s’en détache doucement. Comme Butch Haynes (Kevin Costner dans Un Monde parfait) devenait la figure paternelle de son jeune otage Phillip, Clint se lie peu à peu avec Rafa, devient ce même père de substitution (avec évidemment beaucoup moins de subtilité), et entreprend même une relation amoureuse avec Marta, tenancière de bar elle aussi usée par la vie. Peu importe que cette liaison apparaisse peu crédible de prime abord, cette danse finale, maladroite et fragile, parvient à elle seule à faire émerger une drôle d’émotion. On se souviendra que dans Cry Macho, une icône tire sa révérence et s’évanouit dans le cadre qui l’a révélée, trouvant dans les bras de Marta ce monde parfait tant espéré.

  • Cry Macho, un film de Clint Eastwood avec Clint Eastwood, Dwight Yoakam, en salles le 10 novembre 2021