© Capucine Johannin

Il ne fallait pas moins que le début d’un été précoce à Zone Critique pour présenter le dernier livre de Simon Johannin, paru au début du printemps aux éditions Allia, La Dernière Saison du monde. Loin d’être un texte essentiellement mélancolique, la proposition ici correspond davantage à celle d’un voyage diachronique au fil d’une histoire intime de la poésie. Celle-ci prend racine dans un soleil noir qui n’en finit pas de nous éblouir et de nous étourdir avec, selon la devise de Salluste reprise par les éditions Allia : “Idem Velle Ac Idem Nolle” (“les mêmes désirs et les mêmes répugnances”).  

Car le pays lointain est celui de l’amour

Il y a des images qu’on préfère transformer plutôt que de voir mourir. Si le dernier recueil publié par le poète aux éditions Allia (Nous sommes maintenant nos êtres chers, 2020) s’ouvrait sur l’image d’un “[…] commencement [où] [i]l était une robe verte”, ce nouveau voyage que l’auteur nous propose ici réemploie cette image et la conjugue au futur comme pour permettre le réenchantement des souvenirs qu’il a connus :

“Une robe courte Armani

Des collants qui s’effilent sur les pierres

Ce pull fin au col doux

Qui s’enroule

Et qu’elle ne lavera pas”.

Si le précédent livre de l’auteur invoquait une violente rage et un souffle sourd et contraint, il est ici question de se libérer de toutes ces voix du monde qui sont au creux de soi et que seule la poésie, lorsqu’elle est adressée, permet de voir un peu, au moins un temps, s’éloigner. 

Ainsi donc un projet, aussi poétique qu’autofictionnel, dans lequel s’inscrivent des motifs ressassés et des images chargées de la confiance des fantômes, celle de ceux qu’on accepte parfois de voir traîner un peu le pas, lorsque l’on sent qu’ils permettront sans doute de conclure quelque chose qui ne dépend que de nous. Si le précédent livre de l’auteur invoquait une violente rage et un souffle sourd et contraint, il est ici question de se libérer de toutes ces voix du monde qui sont au creux de soi et que seule la poésie, lorsqu’elle est adressée, permet de voir un peu, au moins un temps, s’éloigner. Cette démarche s’inscrit ainsi dans la tradition des canons de l’art poétique : celui des blasons, des odes et des amours qui s’adressent à l’aimée, fût t-elle simplement promise ou prétexte.

“L’argent file

Si vite

Entre mes doigts

J’écris pour moins d’argent

Que ce que je bois

J’ai fait l’amour deux fois

En deux nuits

L’amour si fort

À en cracher un ciel

Je donnerai ma vie

Contre un peu de la sienne

Que dans son ventre arrivent

Toutes les folies du printemps”

Ainsi donc le poète défend et illustre la langue amoureuse à travers des figures qui revendiquent une certaine filiation littéraire et culturelle qu’on aurait tort de négliger. Ecrire de la poésie, pour Simon Johannin, revient à écrire à partir de la poésie qu’il a lue et aimée, comme aussi, sans doute, de celles qui l’ont animée tantôt. Des figures mythologiques et poétiques se retrouvent donc invoquées, comme pour les sauver d’un patrimoine littéraire qu’on aime raviver et dont elles peuvent enfin se libérer. C’est le cas de Lou (Guillaume Apollinaire, Poèmes à Lou, 1947), Diane (grande figure de la poésie baroque et maniériste, notamment) et Gala (femme et muse du poète Paul Eluard, puis du peintre Salvador Dalí), pour ne citer qu’elles.

Autant qu’un lyrisme qui aime au présent et promet au futur, ce texte rappelle également que la poésie perdure dès qu’elle échappe à sa voix première pour renaître dans les souffles des autres, celle pour qui elle est écrite et celles et ceux qui la réciteront, même au loin, sur le flanc d’une montagne.

Un souvenir pour récompense

Du haut de cette montagne, on voit un dégradé s’opérer. Le livre décline ici son identité poétique, et c’est alors que l’histoire poétique dont il semble se réclamer se nuance ; il est autant question de l’affirmation poétique du XIXème romantique que d’un glissement vers la rupture du début du XXème siècle. L’ici sonne le glas qui résonne avec l’ailleurs, prétexte pour certaines figures de l’imaginaire (qu’elles appartiennent à un lieu désigné ou au mythologique recueilli) de s’immiscer dans cette poésie diachronique issue de l’entremonde.

“Mon cœur s’est vidé par le haut, j’ai recraché les morceaux de vanille.

Derrière les villes, un nouveau cercle, où les sirènes frappent le sol.

Je voudrais qu’on entende, je voudrais que ça porte.

Héritier d’une toison encombrante d’où la blondeur a disparu, j’étouffe souvent au bout de quelques pas.”

Les sirènes de Gérard de Nerval se mélangent aux loreleï germaniques de Guillaume Apollinaire, et la toison mythologique n’est plus qu’une simple évocation permettant au poète contemporain d’en repérer l’immondice, s’inscrivant ainsi tout près de l’immanence baudelairienne qui rôde :

“Nauséabonde

L’odeur d’un souvenir corrompu”

L’éternité retrouvée ou la promesse du temps mythique 

Que faire alors, sinon regarder ensemble le dernier coucher de soleil et chercher à sauver un peu, modestement, cette dernière saison du monde, en espérant le pays lointain promis depuis longtemps déjà? 

Seule la poésie pourra résoudre ce qu’on ne parvient pas à formuler dans le tumulte des phrases pas toujours ponctuées. En effet, si la poésie est un savoir réunissant passé et présent, elle n’a pas pour autant vocation à être une connaissance ; elle est l’intuition d’un monde dont la certitude naît et meurt à chaque phrase achevée. Que faire alors, sinon regarder ensemble le dernier coucher de soleil et chercher à sauver un peu, modestement, cette dernière saison du monde, en espérant le pays lointain promis depuis longtemps déjà? Les traces perdureront, tant qu’elles sont au futur – le proche comme le lointain –  et toujours la langue pourra se permettre de fourcher et nous autoriser alors à reprendre au début cette fin annoncée et redoutée.

“Evidemment qu’il n’en reste rien de cette histoire

Rien des traîtres

Même les bétons sont changés, les noms sont changés

Les voitures sont changées, les vêtements sont changés

Seules dans l’air quelques odeurs persistent
Me sautent sur le dos au détour de certaines rues

De certaines villes étrangères

Ainsi je pleure parfois au milieu de nulle part

Dans le ciel de ce jour, radieux

Je pleure un billet dans les mains

Habitant un monde où la mer existe

Où les oiseaux chantent les corps des sirènes de nos âges

Je pleure à l’ombre d’un tableau

A l’angle d’une boutique effrayant le passé”

Il nous reste alors à suivre  la proposition du suspens final de l’infinitif, finalement accordé :

“Rallonger la magie jusqu’à ce que le sommeil

m’emporte. ”

Johannin, Simon, La Dernière Saison du monde, Éditions Allia, avril 2022, 112 pages.