Maciek STĘPNIEWSKI, No Way Forward, No Way Back, 2023, Vidéo monocanal, 3’19”

Le long du canal Saint-Martin, bercé par les conversations de quelques badauds assis en terrasse, se trouve au deuxième étage du centre d’animation la Galerie Immix spécialisée en photographie expérimentale. Jusqu’au 13 mai 2023, la Galerie et son curateur Pablo-Martin Cordoba proposent une exposition sur la relation entre le corps et les nouvelles technologie. Alchimie numérique présente dix-sept photographes.

Im-possible cristallisation

L’exposition interroge le rapport du corps au numérique. La vidéo est ici mise en valeur, encore peu présente dans nos galeries et qui cherche, non sans difficulté, son public. La majorité des artistes a pensé le corps. Le numérique, ici, témoigne du conflit existant entre la vision que nous avons de notre corps et la représentation de ce dernier. Plusieurs œuvres sont troublantes, flirte avec la dystopie et illustre la complexité de notre vision contemporaine face à ce qui constitue notre être. On est loin de la vision d’un Descartes… Là est le point intéressant de cette exposition. L’art rebat les cartes, invite à réfléchir et stimule notre esprit critique.

Axelle Manfrini, Glitch Please, 2016

Ainsi, l’artiste ukrainien Oleksandr Isaienko réalise une vidéo, Adieu corpus, dans laquelle on voit un homme, nu, rampant sur l’asphalte. Son corps se décompose numériquement, se recompose sans jamais retrouver une forme normale. Dans cette torsion, marquée par une musique lancinante et angoissante, le corps paraît en prise avec le numérique qui le brise.

Dans la même idée, la photographe de mode Axelle Manfrini travaille ses portraits par décomposition comme si le visage était atteint d’un bug informatique sur windows 95 qui décompose l’image en filaments. Les couleurs saturées ont quelque chose de symboliste, de nabis – des couleurs irréelles. Là aussi, les photographes Martin Reinhardt et Virgil Wildrich proposent des corps torturés par le digital.

En ce sens, le numérique semble créer une impossible cristallisation. L’exposition nous alerte, peut-être, sur l’image que notre société consomme. À l’heure du paraître où le désir s’est mû en fantasme, le corps semble faire faux-bond à l’identité. Transformation, mutation, le digital expose, fait apparaître mais ne représente, sans doute, jamais ou plutôt est-ce notre esprit qui peine désormais à cristalliser les choses et leur essence ?

Im-possible stabilité

Dans cette ronde numérique, dans ce flux infini de vidéos qui tournent en boucle se donne une impossible stabilité. Rien ne s’arrête, tout bouge, sans cesse, se transforme et se répète comme un supplice mythologique.

Gioula PAPADOPOULOU, AI Make Me Do It: Ophelia, 2023, Vidéo monocanal, 2’23”

Alice Santini réalise We didn’t meet une installation photographique et sociologique sur les applications de rencontre. Plusieurs images, plusieurs situations de rencontre, mais aucun amour. L’algorithme de Tinder, de Meetic et de tant d’autres se fondent sur des éléments concrets – ou le croyons-nous – mais oublie le cœur de l’amour : les sens et ce surplus d’âme qui nous fait dire « je t’aime ». La photographe aborde la relation avec anxiété sinon déception. Et tout cela nous invite à nous affranchir de l’application pour se lancer au corps à corps. Retrouvons la rencontre simple, la rencontre d’un regard et d’une main effleurée car nous avons senti ce je-ne-sais-quoi qui vogue dans l’air.

Dans cette danse infernale, Gioula Papadopoulou fait appel à l’IA. Le seul mot d’IA fait frémir aujourd’hui car l’on avance dans l’inconnu et l’émergence – tel est le terme qui désigne ce qu’une IA crée d’elle-même – fait peur. Il s’agit d’une vidéo expérimentale où un portrait mue en de multiples variations. C’est une œuvre surréaliste envoûtante et inquiétante qui nous plonge au cœur du progrès technologique. L’artiste Maciep Stepniewski crée, au sein d’une vidéo intitulée No Way Forward, No Way back, un paysage urbain en transformation permanente. Rien ne se résout. Seul le mouvement demeure pris au piège d’un système atemporel.

Détruire ou construire ?

L’art digital fait encore grincer des dents. Après avoir lu les deux sous-titres précédents, l’on a l’impression de sombrer dans un univers affolant. Néanmoins, il y a de l’espoir. Gia Abucejo nous montre la possibilité du numérique comme outil d’émancipation et d’affirmation de personnes marginalisées. Shield Ambiance fait émerger des voix affranchies et invite à l’acceptation de soi en présentant plusieurs portraits de personnes où le corps est au cœur de leur identité. Son œuvre est une lumière optimiste.

Peut-être que nous devons – le milieu de l’art – nous ouvrir au digital sans le craindre, sans le considérer comme une menace pour l’art classique et l’artisanat.

Peut-être que nous devons – le milieu de l’art – nous ouvrir au digital sans le craindre, sans le considérer comme une menace pour l’art classique et l’artisanat. Une amie m’a récemment fait changer d’avis à ce sujet et je suis certain désormais que le digital peut être un nouveau regard qui nous permet d’ouvrir sur de nouvelles perceptions du monde. Il n’est pas une béquille, il n’est pas un subterfuge, il est une véritable création dont les possibilités peuvent nous faire avancer sur le chemin de la création dynamique.

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Cette exposition m’a troublé car je pénétrai un endroit que je connais peu et que je maîtrise encore peu. J’y arrive ! Elle a bousculé mes connaissances et m’a invité à considérer un art que je découvre au fur et à mesure de mes projets artistiques. Elle dure jusqu’au 13 mai à la Galerie Immix.