Dans le cadre de la 11ème édition du Festival Séquence Danse Paris, Zone critique a decouvert 3 pièces chorégraphiques : BEASTS POEM de Pierre Pontvianne, N.N.N.N et One Flat Thing, repoduced de William Forsythe. Les trois œuvres bien que variées se rejoignent dans une grande souplesse rythmique, des gestes millimétrés et la virtuosité des danseur.euse.s du ballet de l’Opéra de Lyon.

Pierre Pontvianne – BEASTS POEM

Comme un ballet de globule rouge, qui palpite dans les veines, la chorégraphie est profondément organique. 

L’artiste cherche avec ses dernières créations, tel que Janet on the Roof, ou le duo Motifs, à mettre un accent de lumière sur le lien entre le mot et le mouvement. En 2020, il se voit confier une création pour le Ballet de L’Opéra de Lyon et profite de cette opportunité pour continuer sa démarche d’un dansé poétique. Il s’associe alors à la poétesse Ikram Benchrif qui écrit la trame sonore de la chorégraphe, son poème sauvage, BEASTS POEM.

La pièce commence sur un plateau rouge, où les corps sont à peine éclairés dans un infra-lumineux troublant où ne ressortent que la peau et la chair. Nous entendons la voix vibrante d’Ikram Benchrif et des mots que nous imaginons en arabe, en hébreux… C’est comme une pulsation organique sur laquelle vont venir se poser les danseur.euse.s. L’éveil des gestes est d’abord très doux, presque immobile, et imperceptible, avant de grandir et de s’assumer. La chorégraphie suivra la même recette tout du long : une alternance entre de grandes pauses en suspension puis un geste lancé par un.e danseur.euse qui, tel un effet papillon, jette tous les autres dans un ballet précis. Ce qui frappe c’est la grande fluidité des corps, accentuée par la pénombre qui nous empêche de saisir l’entièreté des déplacements (trop parfois) et donne un sentiment presque de téléportation, d’irréel et d’aquatique. Comme un ballet de globule rouge, qui palpite dans les veines, la chorégraphie est profondément organique.

En contre point, une femme presque immobile en avant scène, est prise dans une danse buto et incarne comme une fatalité, une réalité qu’on peine à oublier, un monument trop pesant en comparaison aux cellules qui s’agitent en fond de scène. Puis, peu à peu le poème est remplacé par des bruits distordus de manifestations. La danse prend une tournure politique, une interrogation posée par Pierre Pontvianne “à quelle nécessité répond la danse ?”. Au vu de la chorégraphie organique et épidermique présentée, la réponse semble peut-être être, vivre, tout simplement.

(c) Charlène Bergeat

William Forsythe – N.N.N.N

Il y a alors quelque chose de très gourmand dans cette représentation des possibles de ces corps de sur-hommes, capables de tout, pour peu qu’ils s’y essayent.

La soirée continue avec une pièce qui souligne encore une fois la sensation déconcertante de facilité qu’ont les danseur.euse.s du ballet de l’Opéra de Lyon pour s’enchevêtrer les un.e.s aux autres. La première œuvre, N.N.N.N créée en 2002 par le chorégraphe américain William Forsythe, est un quatuor qui explore l’ensemble de combinaisons possibles de l’anatomie humaine.

Un à un les danseurs, Brendan Evans, Yan Leiva, Albert Nikolli et Raúl Serrano Núñez, entrent en scène avec un geste répétitif, presque obsessionnel, de poser leur main sur leur propre crâne, comme la recherche d’une éteinte ou tout du moins d’un contact. Perdus tout d’abord dans leur solitude, ils vont finalement se trouver et pouvoir enfin communier ensemble. Dès lors, le moindre de leur mouvement sera parfaitement imbriqué aux autres et impliquera la suite de la chorégraphie. Ils partent ensemble à la découverte sensorielle de leurs limites, leurs gestes en apparences hasardeux sont en réalité parfaitement calés. Avec la bande son minimaliste de Thom Willems, l’atmosphère se remplit des claquements de main, de coude, de pieds, de corps qui s’entrechoquent, se logent et se délogent, se tricottent.

Ce qui est alors appréciable c’est l’humour indéniable qui va jaillir de ces effets. En plus de la sonorité des chocs corporels, les danseurs accompagneront la chorégraphie de râles et autres sonorités qui ajoutent à la partition musicale mais pas seulement. Ces onomatopées teintent les tableaux d’émotions et donc nous poussent inconsciemment à tisser des histoires, à essayer de comprendre comment ils en sont arrivés là. Nous ne parvenons évidemment jamais à quelque chose de plausible puisque l’enchevêtrement d’images de ces corps noués entre eux est bien trop absurde. Parfois l’effet comique est encore plus fort, lorsque les danseurs reprennent leur routine en la teintant d’une qualité différente : désynchronisé, complètement mou, avec trop d’énergie. Il y a alors quelque chose de très gourmand dans cette représentation des possibles de ces corps de sur-hommes, capables de tout, pour peu qu’ils s’y essayent.

© Dominik Mentzos

William Forsythe – One Flat Thing, reproduced

Nous sommes bien loin du strass et des paillettes, mais dans un rouage performatif qui s’emballe et semble ne plus pouvoir s’arrêter.

Pour finir, le rideau s’ouvre une dernière fois sur 20 tables d’un blanc immaculé, entourées de 14 danseurs qui s’élancent dans 14 minutes de frénésie et de prouesse physique avec l’œuvre One Flat Thing, repoduced créée en 2000 et parfois surnommée “les Olympiades de William Forsythe” tant la pièce est exigeante.

Cette explosion de couleurs et d’énergie nous renvoie presque à un passage culte d’une comédie-musicale – la scène autour du piano de Fame ou bien celle des embouteillages de Lalaland – les danseur.euse.s sont des félins bondissants, souples et puissants.  Cependant, la musique sombre, grinçante et mécanique de Thom Willems nous amène ailleurs, nous sommes bien loin du strass et des paillettes, mais dans un rouage performatif qui s’emballe et semble ne plus pouvoir s’arrêter. Les artistes s’appuient à tout va sur les tables ce qui élargit considérablement la palette des possibles avec de nouveaux appuis, des déséquilibres, suspensions, disparitions, réapparitions… Le tout encore une fois parfaitement synchronisé dans un chaos organisé.

La sensation de cette machine inarrêtable est particulièrement forte lorsqu’on détache son regard d’un.e danseur.euse en particulier mais qu’on embrasse l’ensemble de notre rétine. Il s’en suit un léger tournis mais également un fort sentiment de vertige face au talent, face à la vitesse, face à ce mouvement à la chaîne qui semble être capable de broyer des corps à la moindre faute. On perçoit alors, comme les un.e.s et les autres se portent, s’aident, sont conscient.e.s du tout. Se dégage une grande humanité de toute cette agitation en force et se tisse en creux une touchante vulnérabilité.

La soirée bien que très variée se rejoint indéniablement dans l’excellence et la générosité sauvage des danseur.euse.s de l’Opéra de Lyon. Iels ont su incarner magnifiquement les œuvres avec  leur exigence face aux partitions, leur écoute des mouvements d’ensemble et leur souffle harmonieux.

BEASTS POEM de Pierre Pontvianne, N.N.N.N et One Flat Thing, reproduced de William Forsythe dans le cadre du Festival Séquence Danse Paris 2023 – Focus sur la danse contemporaine – au Centquarte –  5 rue Curial – 75019 Paris jusqu’au 17 mai 2023
(c) Michel Cavalca

Crédit photo : (c) Michel Cavalca