Ivre de rage, un homme décide d’agir contre le tourisme de masse qui a envahi son village de Méditerranée. Balle après balle, sur un ton prophétique, il s’attèle au nettoyage des rues et de la plage. Qui sera capable d’arrêter un tel engrenage ? La police ? L’amour ?
Avec Crève Touriste, feuilleton en quatre épisodes, Sébastien Planas livre un texte d’une rare puissance, et interroge cette possibilité de violence qui, en nous, attend la bonne étincelle.
Une minute suffira à propager l’onde à travers les rues. Des enfants se précipiteront dans les magasins, encouragés par certains touristes plus réactifs que d’autres. Ils feront venez, dépêchez vous, allez au fond, il diront vite vite vite. Les portes se fermeront, mais pas toutes. Les rideaux se tireront, mais pas tous. J’avancerai dans la grande rue, celle qui va à la plage, et qui porte le nom d’un musicien. Sur le trottoir de droite, je ferai feu tous les trois ou quatre pas. La panique sera visible. Je serai fier de mes performances. L’entraînement aura été dur. Le travail ça paie. Je l’ai toujours dit à mon fils.
Bien sûr pour certains je devrai m’y reprendre. Cette femme au sol, touchée à l’abdomen, gênera mon tir avec sa main tendue pour se protéger. Je me décalerai pour un meilleur angle.
L’instant d’après comme par magie il n’y aura plus personne de visible. Sans savoir pourquoi un cri sortira de ma gorge. Ce sera un cri sourd et profond, d’une tessiture inédite, et qui m’effraiera moi-même. Dans mon cou, des pulsations à la limite du supportable. Ma Garmin vibrera avec un message incitant à un moment de méditation. Au bout de ma voix, au bout de ce cri, il n’y aura que le silence. Le regard vers le haut je verrai le bleu du ciel. Plusieurs oiseaux de mer passeront dans le champ, et je me souviendrai de ce que raconte Klein des mouettes qui polluent son bleu. Une balle inutile leur sera destinée.
De l’autre côté un glacier avec une enseigne en forme de canard. Une balle pour le canard. Quelques pas. L’entrée. Main sur la poignée sans réel espoir. La mécanique fera clic. La porte vitrée s’ouvrira. À l’intérieur, dans l’angle de la salle rafraîchie, il y aura comme une portée de mammifères dérisoires, comme des rats, des mulots, il y aura cette demi-douzaine de touristes recroquevillés. Ça me prendra une bonne minute d’en venir à bout.
Les hurlements très forts se transformeront progressivement en suppliques. À la fin, seuls des sanglots persisteront, puis des gémissements, puis rien. Je consacrerai du temps à surveiller d’éventuels mouvements, des signes de vie, par exemple de respiration ou des spasmes. Quelques balles zélées. Je rechargerai avant départ. L’air chaud de la rue fera un effet de contraste sur ma peau climatisée. Le silence sera total. Jamais je n’aurai vu ces ruelles dans un tel dépeuplement. La pente me fera descendre en direction de la mer. Quelques bruits dans les étages, comme des invitations qui me seront pas destinées. Je les ignorerai. J’espère que d’en haut on me filmera.
Tous les trois ou quatre pas je ferai un tour complet. Au bout de mon bras et au bout de cette arme qui le prolongera, en continuation de la glissière, de l’autre côté du cran de mire, le guidon sera parfaitement aligné sur mon regard. J’aurai appris ces mots techniques dans un tuto qui m’aura entraîné, lors de quelques séances de tir, dans la campagne. Les mouvements précipités de quelques personnes que je verrai au loin ne produiront aucune espèce de son accessible à mes oreilles. J’y serai attentif, parce que sur fond de silence un sifflement permanent me sera pénible. Ils m’auront prévenu dans le tuto. Il faut porter un casque acoustique. Les dommages auditifs peuvent être irréversibles.
Sur ma main droite une sensation de brûlure, à cause des microscopiques émanations de poudre corrosive. L’arme sera chaude, à la limite du tenable. Il sera temps d’en changer. Je m’accroupirai et mes genoux feront crac. Le sac ouvert je prendrai l’autre glock.
À la plage, aucun être humain, hélas. Les humains sont bêtes je me dirai, et ils ont des défauts, certes, mais quand il s’agit de survie, l’instinct prend le relais, et les réactions sont d’une efficacité extrême. Il y aura des bruits. Comme les oiseaux dans la forêt les personnes alentours feront des signes vocaux qui m...