Le président Bayrou, élu en 2027, a trouvé une solution « géniale » pour guérir la France de ses crispations identitaires : créer une allocation qui encourage les mariages mixtes. Mais alors que l’endettement du pays s’accroît, une question se pose : l’amour au temps des déficits est-il possible ? 
David Spector propose une redoutable satire, qui tourne en dérision les politiques communautaires, autant que les clivages politiques contemporains.

Illustration : Vieux Juif avec trois Arabes de Jean-Léon Gérôme

En septembre, la prévision de déficit fut révisée à 6 % du PIB. La Commission européenne s’inquiétait. Le RN lança une campagne pour demander que les Juifs et les Arabes, seuls bénéficiaires du bonus universaliste, le financent par une taxe spéciale. Encore une fois, une note alarmiste du Trésor emporta la décision. C’est ainsi que fut créée, en octobre, la contribution forfaitaire universaliste, qu’on appela plus simplement CFU, due uniquement par les Arabes et les Juifs. En violation des promesses de l’été, la déclaration devint obligatoire pour tous les Arabes et tous les Juifs, quelle que fût leur situation matrimoniale.

LFI attira l’attention sur l’injustice de la CFU. Par construction, le bonus profitait autant aux Juifs qu’aux Arabes. Mais les Arabes, dix fois plus nombreux, contribueraient dix fois plus que les Juifs à son financement. Pour rétablir l’équilibre, on décida de différencier le montant de la CFU : les Arabes paieraient la CFU-A, dix fois moins élevée que la CFU-J due par les Juifs. 

Quelques incidents pénibles eurent lieu. Des Juifs dotés de patronymes ambigus comme Ayache, Haddad ou Benzekri tentèrent de se faire passer pour arabes afin de payer la CFU-A plutôt que la CFU-J dont ils étaient redevables. Ils furent repérés grâce à la vigilance de la CGT-Finances publiques, et un amendement voté à l’unanimité punit d’un an de prison ce genre de dissimulation. Dans une démarche d’apaisement, le Gouvernement créa un Haut-Conseil de la CFU, sur le modèle du Conseil d’Orientation des Retraites. Sa mission consistait à calibrer le montant de la CFU-A et de la CFU-J pour que les contributions totales payées par chacune des deux communautés correspondent à l’euro près aux bonus perçus par ses membres. On s’efforça également de rendre aussi bienveillant que possible le processus de déclaration et de paiement. Le site internet monuniversalisme.gouv.fr, encore plus pédagogique que celui des impôts, s’adressait aux citoyens à la première personne. On pouvait cliquer sur « Ai-je droit au bonus universaliste ? », « Suis-je redevable de la CFU ? », « Je paye ma CFU », « Je me déclare jui.f.ve/arabe », « Je signale une erreur sur ma classification », et même, pour ceux dont le prénom, le nom ou l’apparence pouvait susciter un doute, « Je souhaite obtenir un certificat de non-appartenance à la race sémite ».

Cette évolution suscita une vague d’indignation mondiale. Unis dans la réprobation, Israël et les pays arabes se rapprochèrent, ce qui permit d’espérer une détente générale au Proche-Orient. Cette conséquence inattendue conduisit Bernard-Henri Lévy à réclamer le prix Nobel de la paix pour François Bayrou.

Beaucoup de Juifs et d’Arabes refusèrent de s’enregistrer. Sur le Dark Web, ces récalcitrants échangeaient des trucs pour échapper à la traque sur des forums clandestins. Il fallait faire attention parce que plusieurs de ces forums s’étaient révélés être des pièges tendus par l’État pour repérer les Juifs et les Arabes non déclarés et leur faire payer la CFU augmentée d’une pénalité de retard à laquelle s’ajoutait une pénalité pour non-déclaration. Les représentants officiels des Juifs et des Arabes de France soutenaient cette répression puisque chaque récalcitrant qui refusait de payer la CFU augmentait la charge des autres membres de sa communauté. L’État n’eut donc aucun mal à mettre en place dans chaque département un Conseil arabe et un Conseil juif chargés de porter assistance à la police. 

Sur un de ces forums clandestins, Layla_Bint_Mohammed_1729 fit la connaissance de 42Shlomo42_zywx. Après une semaine passée à discuter en ligne de la meilleure manière d’exploiter une faille récemment découverte dans le code source du site monuniversalisme.gouv.fr, la conversation prit un tour plus personnel. Layla_Bint_Mohammed_1729 comprenait que le pseudo de son interlocuteur était une allusion au Guide du Voyageur Galactique de Douglas Adams et un hommage à l’obsession geek pour le nombre 42. Elle trouvait cela charmant quoique puéril. De son côté, 42Shlomo42_zywx eut du mal à saisir le sens du nombre 1 729, jusqu’à ce que Layla_Bint_Mohammed_1729 lui raconte l’anecdote sur la visite du mathématicien Hardy à son collègue indien Ramanujan en 1917 à Cambridge. Hardy s’étant plaint de la fadeur du nombre 1 729 qui figurait sur la plaque d’immatriculation du taxi qu’il venait de prendre, Ramanujan avait répondu, du tac au tac, que c’était au contraire un nombre remarquable, le plus petit qui pût s’exprimer de deux manières différentes comme la somme de deux cubes : dix au cube plus neuf au cube, mais aussi douze au cube plus un au cube. 

Ces échanges donnèrent aux deux récalcitrants envie de se rencontrer. La première fois que 42Shlomo42_zywx et Layla_Bint_Mohammed_1729 se virent, ils se trouvèrent franchement beaux. Mais ce qui l...