Quand des étudiants ambitieux, débarquent à Washington DC pour une soirée de réseautage, ils sont déterminés à briller auprès de personnes installées, pouvant les aider professionnellement. Mais dans cet univers où le small talk et les job updates sont rois, ils se retrouvent perdus dans les conversations superficielles et des interactions déconcertantes. Et entre les avocats italiens, les architectes à succès ou les conseillers bancaires philosophes les échanges s’avèrent parfois aussi stériles que creux. Alors, à l’heure du networking et de l’accent mis sur la diversification du réseau, le réseautage est-il vraiment une voie vers des opportunités concrètes ou un simple théâtre des apparences ?
Voici le temps enfin qu’il faut que l’on réseaute. Et surtout que Lawrence le voie. À quelques important people de distance, par-dessus quelques têtes productives grâce à son mètre quatre-vingt-quinze, il nous avait déjà lancé son pouce — celui qu’il lève pour féliciter, pour signifier qu’il est satisfait, ou, en l’occurrence, pour encourager : I believe in you,you can do it. Nos consciences mouches écrasées par ce pouce, il nous avait bien fallu en convenir, avec Hannah : oui, le temps était venu. Nous lui devions bien ça, à Lawrence. C’était grâce à lui et son programme de professionnal development que l’université nous avait payé le voyage de New York à Washington DC, pour y rencontrer des important people susceptibles de nous aider à nous trouver professionnellement ; la moindre des choses, trois fois rien, était de nous aider en retour, de parer notre insouciance des atours d’un consciencieux opportunisme, de suivre la voie tracée par son pouce : d’aller trouver, à cette réception faite précisément pour cela, quelques-uns de ces important people, de nous entretenir avec eux de Washington et de nos passions, de ce spectacle-prétexte au Smithsonian auquel nous venions ensemble d’assister et de nos projets, de ces petits fours et de nos vies, dans l’espoir que ça match, que la conversation se poursuive jusqu’au couronnement d’un job update sur LinkedIn, aggrémenté d’un post où, pleins d’une sollicitude non feinte, car autre gage de réussite, nous rappellerions à ceux laissés sur le carreau que it’s about people et qu’on ne sait jamais ce qui peut sortir d’une conversation, car, tenez, moi, si je n’avais discuté avec untel de Washington à cette réception, cet emploi, je ne l’aurais pas eu, ce job update, je ne serais pas en train de l’écrire, et je tiens à remercier…
Obéissant au pouce, nous nous apprêtions donc à chercher, pour l’entretenir de nos vies, une figure avenante — nous étions résolus à explorer tous les recoins de cette réception, à demeurer longtemps errant dans ses allées — quand, nous épargnant cet effort, le premier bonhomme est arrivé. Chance ! Ou — révolution copernicienne, rotation perpétuelle des sphères du réseautage — nous avait-il pris lui-même pour un de ces important people que nous cherchions ? Du reste, son intérêt semblait sincère, car son accent était incontestablement italien : or juste avant son irruption, c’était justement d’Italie que nous discutions avec Hannah. D’un regard appréciatif, nous prîmes note de la technique : saisir un mot au vol, puis plonger — a sudden blow, the great wings beating still ! Tout troublés de nous retrouver proie dans cette grande volière de réception, mais tenant bon au pouce de Lawrence, nous avions pépié de reconnaissance — oh nous avons pépié ! Il était petit et avocat, il avait un œil plus haut que l’autre et un costume à rayures, une malette et une femme américaine, quoi d’autre je ne saurais dire car, après dix minutes de recettes de pâtes et de belles églises à visiter, il nous quitta dans le sourire d’un air occupé, l’œil plus bas sur son portable : comme il convient. Aussi belle et enrichissante soit-elle, une conversation réseautage doit respecter les règles de la concurrence : le monopole nuit à la croissance.
Voilà ce qu’on se disait maintenant, avec Hannah, fiers d’avoir réussi, guettant déjà au loin le pouce approbateur de Lawrence tout en lissant nos plumes ébouriffées sous les caresses de cette conversation enrichissante — quand un deuxième bonhomme est apparu, aussi soudainement que le précédent. Plus petit que le premier, mais plus large, les yeux non pas inégaux mais globuleux, son accoutrement d’un débraillé recherché laissait deviner un demi-habile. (Le non-habile, en réception, s’habille trop bien, il trahit son infériorité en manifesta...