Une simple conversation avec Severino, le portier, dévoile des terribles secrets enfouis entre les ombres de Paraíba et les lumières de Rio. Pour notre premier feuilleton, la plume incandescente d’Eva Ferenczi, vous plonge dans un univers violent mais poétique, où seule la survie compte. Découvrez dès maintenant le second des quatre épisodes.

Il fait si noir, si vide autour de la loge, c’est solennel, le bâtiment prostré comme un phare au milieu de la nuit ; manquent les cloches de minuit. Severino parle de sa terre, Paraíba, là où les arbres donnent des fruits en leurs saisons, où l’on ne manque de rien, sauf de travail. Là-bas, on ne vit pas entassé comme ici, comme en haut, dans la comunidade. Le visage de Severino occupe l’espace de ma cornée, faut pas être une génie pour se rendre compte qu’il crève de froid. Il est enveloppé, terré dans sa veste noire trois fois trop grande, il la serre contre lui, la veste n’a ni zip, ni boutons. Il a froid à la poitrine, au cœur, il me paraît fragile dans cette veste large ; il ne supporte pas l’hiver, même à dix-sept degrés. Il n’est pas équipé.

— D’où je viens, c’est pas comme ça, il dit.

Le froid cristallise sur ses chevilles. Il y a du vent, et ses chevilles sont nues, pas de chaussettes dans ses souliers en cuir, dont le cuir a pris l’eau, gondole, informe ; il a perdu sa forme.

— Ai-ai.

Ce n’est plus qu’une question de temps, je le rassure, ils vont attraper Lázaro, le tueur, fugitif, hein ? Qu’en pense-t-il ? Avec leurs drones et leurs hélicos, tout ça juste pour un homme, pas très grand, à frange lui tombant sur le front — ils doivent bien y arriver, non ?

— Avant ça, il va pouvoir tuer encore un paquet de gens, en plus de ceux qu’il a déjà tués ! Dans la forêt, il va trouver des aliments pour se fortifier, il va trouver des mangues, des papayes, des cocos…, des remèdes, les plantes sont des remèdes, il connaît la forêt comme sa poche, il va guérir, dit Severino.

Le tueur s’est pris une balle dans la jambe droite. Après l’histoire de la famille d’agriculteurs, la région était en alerte, ceux qui en avaient les moyens ont déserté, laissant les maisons, les fermes, pour aller se réfugier en ville. Lázaro croyait la maison vide, il n’a pas eu le temps de sortir son flingue lorsque le garde-champêtre l’a visé.

— La police va plus tarder à le prendre, je répète bêtement, ne sachant quoi dire d’autre, une escadrille de deux cent soixante-dix hommes pour un seul homme… quand même.

— Le prendre de quoi ? Si ça tenait à moi, je le mettrais pas en prison, je ferais autre chose ; y a rien à tirer des criminels comme ça, des violeurs. J’ai connu plein de mecs cinglés, des voleurs, des violents, mais des violeurs, non ! Là d’où je viens, c’est pauvre, tout le monde vole, dit Severino, il frotte sa tête contre son épaule, là d’où je viens, c’est pauvre. Un de mes amis a volé un bouc une fois, dans une ferme. Il a voulu voler le bouc d’un fermier, mais le fermier l’a eu. Il lui a tiré dessus évidemment, comme une volaille. C’était fini pour lui. C’est comme ça que ça se passe. Qu’est-ce qu’elle va faire la police, il lui a bien volé son bœuf, son bouc, non ? il se marre et se moque de moi — un voleur, qu’est-ce que tu veux qu’elle fasse la police ? Le bouc, c’est bon, il dit, c’est une nourriture solide, très forte, ça a beaucoup de goût, comme la chèvre, c’est un repas de fête.

Son uniforme ocre de portier sous la veste, pantalon et blouse, en tissu synthétique, le froid continue de tourner autour de lui pareil à une grosse mouche ; je sens le goût de la chèvre, du bouc, je le décrypte, ce doit avoir un goût de semelle brûlée de cuir et de cuisson, comme les souliers au four de Chaplin ou les viandes rituelles. Une nourriture qui prête main-forte, aide ...