Gualfitio, idéal des adolescents rêveurs, est aujourd’hui ce qu’elle a toujours été : une riche station balnéaire parfaitement comme les autres. Victime d’un soleil trop nostalgique, un jeune homme de retour dans les rues tranquilles de Gualfitio en profite pour régler quelques comptes lointains. Une méditation sur les Stan Smith signée Charles Mouliès.
Gualfitio ! Gualfitio, station balnéaire à l’exacte frontière de la France et de l’Espagne, à l’exact endroit où le meilleur de ces deux pays s’unit… Comment est-elle devenue un si haut lieu de la vertu ? Goouuuafilssioooo… À cette heure je me le demande encore.
No se puede vivir sin amor : son panneau accueillant l’étranger dans d’antiques chaleurs sous le label Ville Fleurie — ce panneau est à présent rouillé.Fleurie, la ville l’est restée : ses fugues de jasmin, les arbousiers qui dans l’ultime rayon estival laissent tomber mollement des fruits trop mûrs pour les frêles branches ployant langoureuses de ce délire de sucre qu’on écrase sans égards ou mange ; la nature y est joueuse, prêteuse, prête à la luxure.
Mais voilà que ce slogan devint trompeur. Il y a 10 ans, 15 ans disons, pouvait-on encore trouver des t-shirts laissés sur la plage arrière des coupés, des corps surgis du désordre opalin et qui, à l’image des vagues, rompaient toute narration pour hurler des bouts de conneries — parfois un peu obscènes, souriantes toujours. Des mains prometteuses derrière les rideaux de lin beige, et ces noms ! Jade, Salomé, Hannah surtout… Sous les parasols Miko, ces deux H en tourelles de jambes, prénoms bibliques et hâlés. Tout ce qui importait a fui Gualfitio. Le soleil s’y est couché une dernière fois dans l’orbe rouge, avant que la bourgeoise n’entreprenne un immense et discret travail de remblayage moral adoubé par la hausse du foncier.
Le malheureux Fritz Zorn pensait avoir découvert l’infini de la pruderie dans la Zurich des années 70. La Zurich bétonnée, ses fourrures en peau de cul de lémuriens, ses Mercedes noires fourbues dans la nuit, et puis les vieilles assiettes épaisses, trophées des vaisseliers légués par d’insipides aïeuls et dont, pour n’oser s’en battre calmement les couilles, on répétait que l’un d’eux avait été magistrat ou connétable qu’importe. Les volets clos à 19h dernier carat, réprimant tel un rot la victoire du néant qui, dispensé d’une proie trop facile, avait déjà longé, lové les frontières de la Suisse 30 ans plus tôt. To...