Depuis quelques jours, j’étais tombé malade. Les symptômes semblaient avoir commencé au retour d’un week-end infect chez mes parents dans le Loiret. Arrivé au domicile de Nathalie, j’entrepris de lui lécher la chatte, comme pour me récompenser après ce séjour désastreux. Ma langue faisait des va-et-vient vigoureux mais pourtant quelque chose me semblait différent. J’eus d’abord quelques pensées soupçonneuses. Pourquoi cette chatte m’était-elle moins familière ? C’est plus tard, en sortant les poubelles, que l’évidence m’apparut : je ne sentais plus rien. Je pensais alors à cette phrase de Michel Cymes : « 40% des patients atteints de la Covid perdent progressivement le goût et l’odorat. ». Il avait aussi ajouté, pensai-je pour me rassurer : « Attention, si vous avez des troubles de l’odorat et du goût, ne vous dites pas que vous avez le Coronavirus. »

Deux jours plus tard, mes soupçons se sont confirmés. Mes bronches étaient encombrées, mon corps était parcouru de frissons et ma tête semblait prise dans un étau. Hier soir, j’ai essayé de dormir mais ça s’est aggravé ; une fois en position allongé, j’ai commencé à éprouver les premières difficultés respiratoires. Je me suis levé péniblement pour me diriger vers la salle de bain : mon teint était cadavérique. J’ai mis la main sur une trousse de médicaments – une trousse rouge avec une croix blanche que j’avais acheté un an auparavant sur le conseil d’une pharmacienne au teint rougeâtre. Un cachet de Doliprane assorti d’un anxiolytique m’ont permis de passer la nuit mais il fallait se rendre à l’évidence, j’étais atteint.

Le lendemain matin, je me suis enfin décidé à appeler mon médecin traitant grâce à la plateforme numérique Doctolib. Lorsque j’ai eu le praticien en ligne, une légère honte m’a envahi au moment de désigner la maladie. Fallait-il suivre les recommandations de l’Académie Française et dire « la Covid-19 », au risque de passer pour prétentieux, ou « le Covid-19 » en se sachant dans l’erreur ? J’ai opté pour le terme plus convenu de « coronavirus ». Une voix fatiguée au bout du fil m’a transmis les recommandations à suivre – les mêmes qui tournaient en boucle sur les chaînes d’information en continu depuis plusieurs mois. Il fallait donc rester chez soi et subir les assauts répétés de la télévision ou de la radio : mais ça allait, j’avais l’habitude et je prenais même du plaisir à regarder Jean Castex prendre mollement des décisions temporaires, des mesures provisoires ou des arrêtés transitoires.

J’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour Jean Castex. Même s’il ne connaît pas spécifiquement la situation épidémiologique, il parvient toujours à trouver des mots réconfortants, à féliciter les Français de leurs efforts et à déplorer les dérives de quelques-uns. Jean Castex est rassurant, plus qu’un père pour les Français, personnage un peu effrayant, il a la bonhommie d’un oncle compréhensif et bienveillant. Il semble avoir toujours été vieux. On retient de ses allocutions son intonation solennelle et méridionale, et l’image d’une France rurale, celle de Jean-Pierre Pernault. Peut-être Emmanuel Macron l’a-t-il choisi pour changer son image ; sans doute dans un sens négatif mais il va changer son image ; il y aura au moins un dépaysement, un retour à la terre.

Je m’interrogeai sur mon état de santé et je décidai de surveiller l’aggravation des signes de la maladie. Les brochures diffusées par Santé publique France recommandent de prendre sa température deux fois par jour. Dans cette situation, plusieurs possibilités s’offrent au malade : par voie frontale, orale ou rectale. À la pharmacie, j’ai finalement opté pour un thermomètre auriculaire : le plus fiable du marché grâce à son capteur à infrarouge sur l’embout de l’appareil qui permet d’effectuer des mesures en seulement cinq secondes.

En remontant la rue Mouffetard, je repensais aux propos de Claude Bernard dans son Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, qui définit l’exercice de la médecine comme la nécessité de maintenir les conditions normales de la vie et de conserver la santé. Peut-être se serait-il réjoui de constater les avancées des procédés d’investigation corporelle auxquels nous sommes parvenus en quelques décennies. À présent, la moindre de nos constantes est scrutée, évaluée par rapport à une norme, soumise à une loi mathématique. La statistique est devenue un outil indispensable pour quantifier le corps, les malades et la masse. Les points de situation Covid-19 se sont imposés comme des sacres télévisuels de la médecine positiviste.

Il m’a fallu environ une demi-heure pour parcourir les cinq cent mètres qui me séparaient de mon domicile. Ma température était normalement élevée mais les difficultés respiratoires ne s’estompaient pas, et c’était là le point alarmant. J’ai passé un rapide coup de fil à Nathalie pour la prévenir de la situation avant de me mettre au lit.

Pendant toute une semaine, j’ai été assez sérieusement atteint, je n’avais aucune envie de bouger ou de parler. Je souffrais d’une forme d’épuisement vital. J’avais une certaine difficulté à prendre conscience de moi-même – je me sentais comme un amas de chair morte. De temps en temps, Nathalie passait me rendre visite – toujours avec le masque – pour s’assurer que mon état ne nécessitait pas une hospitalisation. Durant cette période de déclin progressif il ne se passa à peu près rien. Mon corps était déposé entre les mains de la maladie. Il y a quelque chose d’un peu ridicule dans ce virus banal et angoissant. À l’ennui des symptômes grippaux, il faut ajouter la crainte de ne pas sombrer dans une forme grave. Je traversai pourtant sans désespoir excessif la période de l’infection. À la fin de cette semaine, j’allais mieux, je commençais à retrouver mon souffle. La vie a repris le dessus, comme on dit.