Dans l’éclat lumineux du Bal des âmes, il danse, porté par l’espoir vain de revoir un jour celle qu’il a aimée. Mais c’est un parfum, familier et entêtant, qui le trouble. Ce souvenir d’un coquelicot sauvage l’entraîne au-delà de l’éther, vers une ultime vérité. Une histoire d’amour intemporelle, entrelaçant souvenirs, regrets, et un dernier adieu sous un ciel bleu azur. Un texte fort proposé par Yannick Leboeuf.
Dans l’obscurité totale, un filet de clarté tout d’abord chancelant perce fébrilement puis s’affirme pour accoucher brutalement d’une lumière éclatante. La terre se libère, alors je lui souris.
Là où je suis, vous ne me voyez pas. Oui vous ! Moi je vous vois et je vous entends. Mais vous, vous ne me voyez pas ! Le temps n’a plus d’emprise sur moi. Je vous contemple toujours courir et vous agiter dans tous les sens.
Moi, ça fait, ça fait… combien de temps déjà que je suis ici ?… Depuis peu, peut-être quelques heures, ou depuis plus longtemps, très longtemps peut-être même, des années… Qui sait ? Je dois l’avouer je ne me rappelle plus, mais alors plus du tout. Il est vrai que cela ne change rien car je n’ai pas trop eu le choix à vrai dire. Pas le choix du tout même. « AVC », qu’ils ont dit, 88 ans, secours tardif, femme en pleurs, regard éberlué de mon Labrador, hurlement de la sirène des pompiers. Trop tard.
Je revois encore ma femme, ma Mathilde se placer contre moi dans mon lit et pleurer dans mon cou, longtemps, si longtemps.
La suite, vous pouvez aisément l’imaginer. Arrivée du croque-mort, cérémonie en la petite chapelle du village, présence de nombreux voisins compatissants, la phase cruelle de l’incinération et voici comment par une douce journée de printemps j’ai atterri ici… enfin atterri si je peux toutefois employer ce mot.
Mon seul regret. Mon unique regret. C’est ma Mathilde. Ma chère et tendre, abandonnée en bas. Là-bas. Si loin.
Rapidement, j’ai su que jamais je ne la reverrais. Les âmes des personnes s’étant aimées ne se retrouvent jamais. Ou alors, par miracle, mais ici personne ne croit au miracle… Une fois, une seule fois au cours du dernier millénaire, une unique fois c’est arrivé. Roméo et Juliette se sont retrouvés ici. Eux seuls !
Pourtant, à chaque Bal des âmes, j’espère encore, sans vraiment y croire, j’espère secrètement. Il suffit que la musique commence, une valse est toujours lancée en premier, c’est la tradition… toutes et tous alors, nous nous mettons en quête de notre cavalier ou cavalière et tourbillonnons en un bouquet luminescent. Certains scrutent de façon attentionnée les nouvelles âmes arrivées, pensant y retrouver un être cher ou son compagnon, qui sa compagne.
C’est vrai, que moi aussi, je me laisse surprendre parfois par cette recherche impossible et vaine. Et puis, la musique me saisit tendrement dans ses notes, je démarre alors une valse avec la première âme qui se présente à moi. Nous tournons, tournons à une folle allure, flamme incandescente virevoltant sur elle-même, laissant échapper des gerbes d’étincelles flamboyantes.
Je suis un bon danseur, même excellent je peux le dire, en bas bien entendu, mais là, même si l’exercice est plus compliqué, mon rythme et ma tenue, enthousiasment toujours mes cavalières. J’en suis très fier.
On nous a annoncé pour aujourd’hui un concours. Oui ! un concours. Et j’étais un des cavaliers les plus recherchés.
Cela fait quelques minutes que je mène la danse. La musique céleste vient d’enchaîner sur un Tango, j’en reconnais instantanément les premières mesures pour l’avoir servi maintes et maintes fois. Je laisse alors ma cavalière, comme c’est la coutume, et part en recherche d’une nouvelle partenaire. Une traînée de lumière scintillante arrive jusqu’à moi. Elle se poste devant moi et ne bouge pas. Je tourne autour d’elle, hésitant. Un tango nécessite une cavalière d’expérience pour moi car c’est la danse où j’excelle le plus.
Je décline délicatement. Je ne sens pas d’assurance dans cette proposition. Une petite hésitation. Elle repart aussitôt. J’espère ne pas l’avoir vexée car telle n’est pas mon intention. Non, vraiment pas. En me quittant, brusquement, je perçois derrière elle la fragrance d’un parfum… particulier, si particulier. Je connais cette senteur. Une fleur ? une épice ? Je n...