Wolfgang, c’est la fuite vers Berlin, loin de l’ennui bavarois, pour plonger dans les nuits fiévreuses, entre squats, vinyles et passions brûlantes. Jusqu’à l’ombre de la maladie s’immisce, insidieuse, au cœur de cette liberté arrachée. Wolfgang, 1988 est l’histoire d’une jeunesse qui se consume, entre le vertige des désirs et la menace d’un virus qui rôde, tragique, prêt à tout faucher. Un texte puissant de l’écrivain Marc Chebsun dont le nouveau roman Et bang ! sort le 14 novembre.
Wolfgang est né à Munich, München. Papa industriel, Mama au foyer. Une schwester dépressive, un bruder bête comme ses pieds – et le gars chaussait du 46 ! Première poussée de boutons au son du Beau Danube bleu, première crise d’allergie au lendemain d’un baptême Fête de la bière. C’est là, dans cette ville assommante où les jeunes gens enfilaient leur chemise Versace pour boire un coup au pub en se gargarisant de diverses inepties, c’est là que Wolfgang enfant, parcourant sa cour d’école d’un œil consterné, puis Wolfgang ado, se demandait, désespéré, si la terre respirait un ennui aussi crasse, une banalité aussi plombante que l’atmosphère distillée par la capitale bavaroise.
Chaque jour, sur la route pour rejoindre son domicile – une petite maison cosy qui respirait l’ennui et la connerie des nains de jardin – Wolfgang traversait cette riche cité. Riche, oui, propre bien sûr.
Un soir, Wolfgang hallucina en visionnant un film de Losey, Le village des damnés : des enfants mutants prenaient le pouvoir sur une communauté terrorisée.
La nuit venue, il en fit un cauchemar terrifiant : désormais, c’était les nains de jardin qui administraient sa ville. Ils vous poursuivaient à travers les rues, à grand renfort d’épouvantables cris et de hideuses circonvolutions, si vous osiez contester la règle : sourire, sourire, sourire encore et toujours, à chaque instant de la journée ou de la nuit. Alors, votre sort était conclu : les terrifiants nabots finissaient par vous attraper au lasso. Schlakk. La triste affaire se concluait par une crucifixion en place publique devant une foule emplie de haine – mais souriante.
Autant le dire : lorsque hautain, renfrogné, solitaire, Wolfgang affichait le slogan No Future sur son T Shirt lacéré, la phrase n’avait rien d’un effet de style. Les mots sortaient du fin fond de ses tripes, là où son amertume se développait à vitesse grand V. Cette ville sûrement, ce monde peut-être, n’étaient définitivement pas faits pour lui. Alors un jour, celui de ses dix-neuf ans, Wolfgang prit son sac à dos.
Lorsque sa mère lui demanda : « Pourquoi ? », Wolfgang sortit la première idée qui lui passa par la tête. « Je n’veux pas faire l’armée. Quand on s’installe à Berlin, on est exempté. » Véridique. Le visage de la mère se recroquevilla sur une moue pathétique et désolée. La figure même de l’incompréhension.
Désormais, à Berlin, Wolfgang bossait dans une boutique de disques. Un drôle d’endroit bizarre-bizarre, envahi de sculptures fluorescentes, un lieu d’où s’échappait une fureur brute, non négociable.
Installé dans un squat plutôt clean et ordonné – y vivaient des jeunes gens très polis sous leur crête iroquois – Wolfgang s’amusait dans le lit de garçons ou de filles, selon l’humeur, selon l’instant, et il kiffait.
Un jour de marché à Kreuzberg, alors qu’il errait parmi fruits, légumes et copies Chanel-Gucci-Versace, son regard croisa les yeux enflammés de Nihat. Le garçon accompagnait sa mère. L’air de rien, mais l’air seulement, le jeune homme laissa traîner la rêverie de ses prunelles jusqu’au visage de Wolfgang. Il se cogna à son désir.
Une déambulation conduit alors le fils, sa mère, des allées du marché à la Oranien Strasse qu’ils traversèrent pour rejoi...