Prendre soin de soi, c’est important. Mais, entre malaise, douleurs inattendues et incompréhensions, il arrive que le massage se transforme en véritable épreuve physique. Est-il vraiment possible de se détendre? Avec autodérision et finesse, Léontine Behaeghellivre le récit doux-amer de ces expériences intimes qui ne se déroulent jamais comme prévu.

J’ai décidé de me reprendre en main. Je suis fatiguée de me trouver molle et flasque. J’ai souvent l’impression de n’être qu’un esprit fuyant sans arrêt son corps. J’ai toujours admiré les filles qui adorent se poser des masques à l’huile d’avocat sur la tronche et avoir une routine skincare nécessitant des tas de produits. Ce sont ces mêmes filles qui font du sport plusieurs fois par semaine et mangent des açaï bowl. À vrai dire, je n’ai jamais eu l’impression de « prendre soin de moi », mais de me négliger comme un adolescent prépubère addict au gras. 

Étrangement, mes amies ont décidé cette année de m’offrir un massage pour mon anniversaire. L’occasion idéale pour entamer la « reconnexion » à mon corps tant recherchée. 

Petit hic : le salon de massage se trouve rue Montmartre, la même que les bureaux de la rédaction d’magazine pour lequel je travaillais et je suis terrorisée à l’idée de recroiser Henri, mon ex-boss complètement allumé. En arrivant au croisement, je m’empresse de saisir mon téléphone pour feindre d’être en pleine conversation. Je murmure « Mais non ! Arrête ! Tu es sûre ? Elle a vraiment fait ça ? ». J’essaye d’être crédible. Les bureaux de la rédaction donnent sur rue et il y a toujours quelques chaises de jardin installées devant la vitrine. Bien que je sois complètement miraud, j’aperçois au loin plusieurs personnes assises à l’entrée. Pitié. 

Je marche à grandes enjambées, mon visage tourné vers les boutiques du trottoir d’en face, dissimulé derrière mon téléphone, à deux doigts du torticolis. Enfin, j’arrive devant le salon de massage. Je me laisse submerger par ma paranoïa : j’espère qu’ils ne m’ont pas vus y rentrer. C’est la honte. C’est la honte de faire un massage thaï, non ? Je fais taire mes pensées : ferme-là, Léontine, tu fais ce que tu veux, et tu t’en fous franchement que tes anciens collègues sachent que tu te fais masser. À cet instant, une femme souriante derrière un comptoir me regarde. « Vous aviez rendez-vous ? 

– Non. Enfin, si. Pour un massage aux huiles chaudes. 

– Combien de temps ? 

– 1h30. » 

Putain. 1h30. Soudain, ça me paraît quand même long. 

Je grimpe les escaliers recouverts de moquette en m’agrippant à la rampe glissante d’huile. Est-ce cette même atmosphère que l’on pourrait retrouver dans un bordel ? Je m’en veux presque de suivre cette femme en haut, à l’abri des regards. Au deuxième étage, la lumière du jour n’existe plus. Seules des lumières tamisées et bougies de toutes les tailles nous éclairent. La femme m’indique l’entrée de l’une des pièces, j’y pénètre et elle referme la porte derrière moi. Monte en moi un sentiment de panique absolue : que suis-je censée faire exactement ? Me foutre à poil intégralement ? Non, j’imagine que je dois garder ma culotte. Mais je n’ai pas de soutien-gorge. Dois-je rester seins nus ? D’ailleurs, est-ce réellement le moment venu de me désaper ? J’imagine alors avec effroi la femme revenir et me crier dessus de me rhabiller en thaïlandais ou éclater de rire car ce n’était pas du tout le moment d’être nue. D’ailleurs, tout le monde le sait, il faut se laver sur place avant de faire un massage : c’est la dernière pensée qui me traverse en apercevant une douche dans un coin de la pièce, avant que la femme ne re rentre et m’observe d’un air perplexe. Dans un élan de désespoir, je lui demande : « C’est maintenant ? Je veux dire… Je devais me déshabiller ? ». J’avais visé juste, ou presque, puisqu’elle se met à rire. Puis elle me répond que oui, oui, c’est maintenant et j’achève de m’humilier en lui demandant, rouge tomate (il m’en faut peu) : « intégralement ? ». C’est alors qu’elle saisit entre son pouce et son index un string en papier qui attendait sagement sur la table, sous mes yeux depuis le début, et me le tend en me faisant un grand sourire qui veut dire : ma pauvre, que tu es bête. Je bégaie un « merci » en retirant mon pull tandis qu’elle s’enfuit une seconde fois. Nue comme un ver – je remercie chaleureusement le string, indispensable, qui couvre à peu près un dixième de ma chatte couverte de poils –, je m’allonge tête la première sur la longue table, tête dans le trou et cul vers le ciel, et attends comme une conne que l’autre revienne. 

Lorsqu’elle franchit le seuil de la porte, j’essaye de me laisser aller, de me détendre un peu – je pense : tout le monde fait des massages, Léontine, c’est la norme –, même si, d’un...