Une mystérieuse femme rousse nous a transmis fiévreusement cette nouvelle, en la présentant comme un texte inédit de Philip K. Dick traduit par ses soins. L’écrivain américain lui aurait dicté ce récit pendant son sommeil au cours d’une nuit marquée par la prise de LSD. Pourtant, rien ne peut attester la véracité de cet écrit…
La première fois que l’on put établir, avec certitude, la dangerosité des antennes-relais 5G, ce fut lorsque le technicien Doglover Fat chuta de l’une d’entre elles.
La trajectoire de sa chute l’entraîna tout droit sur le crâne d’un homme qui, muni de jumelles, se tenait juste en dessous de l’antenne-relais. Ce dernier semblait abasourdi par la malchance qui était littéralement en train de lui tomber dessus. Doglover le heurta de plein fouet et les deux hommes s’évanouirent rapidement. La dernière chose que vit Doglover avant de sombrer dans l’inconscience fut un homme chauve sur un canapé rouge et un œil dans le ciel surplombant une pyramide. Quand il rouvrit les yeux, il fit l’inventaire, avec soulagement, de ses blessures. Il semblait totalement indemne contrairement à l’homme qu’il avait heurté et qui était toujours inconscient.
En se relevant, Doglover sentit que quelque chose n’allait pas. Il crut d’abord que cela tenait à l’état de son corps, curieusement préservé après une chute aussi violente. Lorsqu’il inspecta les environs, à la recherche d’une aide quelconque, il comprit d’où venait cette impression d’étrangeté : tout autour de l’antenne-relais, les arbres étaient morts, la terre complètement desséchée et aride et le vent charriait une poussière grise irritante. Pourquoi le paysage avait-il cette allure ? On aurait dit qu’une ogive nucléaire avait terrassé les environs durant son bref évanouissement. Alors qu’il marchait pour atteindre la ville la plus proche, Doglover croisa des tas d’oiseaux et d’insectes morts ; inquiet, il se hâta afin de trouver de l’aide pour l’homme qu’il avait percuté.
Alors qu’il arrivait à la périphérie de la ville, il aperçut des êtres vaguement humanoïdes qui émettaient une sorte de bêlement plaintif. En s’approchant, il constata qu’il s’agissait d’un mélange entre l’homme et le mouton : ils se tenaient sur leurs deux jambes comme les premiers, mais avaient cet air absent et vide, et surtout le poil foisonnant et bouclé caractéristique des seconds. Il adressa la parole à l’un d’entre eux et comprit qu’il ne recevrait aucune réponse : les hommes-moutons avaient la bouche entravée par des masques bleus qui étaient soudés à même la peau. Doglover en fut horrifié et décida de se hâter vers la ville où, peut-être, il trouverait enfin une réponse à ses questions.
Alors qu’il abordait enfin les premiers bâtiments et voyait des silhouettes humaines normales, une alarme particulièrement aiguë retentit : elle évoquait la venue des bombardements dans les films de guerre américains. Au même moment, une nuée de policiers fit irruption dans les rues et une voix annonça, dans un haut-parleur : « Il est 18h pile, le couvre-feu commence : rentrez chez vous ou vous paierez votre escapade du prix de votre vie. » Il fallut à Doglover quelques secondes pour comprendre : il devait trouver un moyen de se cacher au plus vite. Alors qu’il avançait dans les rues, cherchant désespérément un bâtiment ouvert (tous avaient les portes et les volets clos), des mains le saisirent et l’entraînèrent dans une maison isolée. Ceux qui l’avaient enlevé ouvrirent une trappe à l’intérieur et ils se retrouvèrent tous dans les souterrains de la ville.
Le chef du groupe, un homme râblé et court sur pattes, lui adressa la parole : « Nous faisons partie de la résistance, nous t’avons repéré et comme tu ne portais pas de masque et étais dehors à l’heure du couvre-feu, nous avons pensé que tu étais de notre côté. Bienvenue dans l’Enclave du libre penseur, ici tu trouveras les autres membres de notre groupe et de quoi te réinformer. Les nouveaux membres sont d’ailleurs invités à assister à la projection de Braquage qui explique tout ce qu’il faut savoir sur la situation. » Doglover demanda plus de précisions sur la situation en question : celle qu’il avait laissée avant sa chute se résumait à des attestations faites à 18h01, des masques bleus inoffensifs et des tests PCR. Le résistant lui sourit et dit : « Suivez-nous, nous vous menons vers la salle de réinformation où toutes vos questions trouveront des réponses, et même un peu plus. »
Le groupe progressa alors dans les souterrains où, éberlué, Doglover observait l’organisation de la ville résistante. Il s’agissait surtout de bars et de restaurants, installés le long de l’artère souterraine principale. On trouvait là « Le libre bœuf bourguignon », ici « Au bon dissident », ou encore le « Café ose ». Le chef, devant le regard interrogateur de Doglover, précisa : « les bars et les restaurants font partie intégrante de la lutte contre le pouvoir depuis qu’ils ont été fermés puis détruits par le gouvernement. »
Plus loin, ils tombèrent sur un enclos grillagé à l’intérieur duquel se massaient des formes vaguement humaines pourvues de membres surnuméraires. « Les pauvres vaccinés… » soupira le chef de la résistance. Il rajouta que ces derniers étaient des cas désespérés et qu’ils étaient gardés là dans l’espoir que leur état s’améliore prochainement, mais chaque jour une nouvelle tare leur venait : un bras, un œil, une jambe supplémentaires ; ou bien, pire, ils mouraient après avoir expector é un effroyable liquide verdâtre.
Ils arrivèrent enfin devant un bâtiment à l’architecture grise et terne qui surplombait la ville souterraine et les enclos de vaccinés. « Nous voilà arrivés », dit le chef. « Je vous laisse seul, vous me trouverez attablé quelque part quand vous aurez connu la vérité. »
Doglover entra dans le bâtiment : celui-ci était composé d’un grand hall clair et de différents couloirs, chacun surmonté d’un panneau. Le premier avait pour titre : « Vérité sur le 11 septembre », le deuxième : « Vérité sur les relations entre Bill Gates et Big Pharma ». Il y avait une vingtaine de couloirs, chacun détenteur d’une vérité. C’en était vertigineux. Doglover entra dans celui qui était labellisé « Vérité sur le coronavirus : Braquage ».
Ses pas le menèrent dans une pièce vide ; il s’attendait à une espèce de salle de cinéma dans la mesure où le chef de la résistance avait parlé d’un film. Au lieu de cela, il y avait seulement un siège et une machine composée de plusieurs branches et reliée à une immense ampoule. Un mode d’emploi simple au possible accompagnait la machine : on y voyait dessiné une tête surmontée d’une grosse flèche, elle-même dominée par la machine. Doglover, dans sa hâte d’en savoir plus, ne se fit pas prier et se saisit de la machine pour la poser sur son crâne. Une sensation de malaise intense s’empara de lui et une voix métallique résonna directement à l’intérieur de son crâne : « Au commencement il y avait les installations d’antennes-relais 5G. » Une image d’antenne-relais s’imposa à lui. Elle était similaire à celle qu’il avait soumise à un contrôle de vérification plus tôt dans la journée. « Non, c’est la même… » corrigea-t-il. Et, en effet, il retrouvait exactement le même paysage aperçu quelques heures auparavant, avant qu’il ne soit torpillé. En bas de l’antenne, il y avait même deux corps : l’homme qu’il avait percuté et ses jumelles gisant à côté de lui, et une autre forme qu’il reconnut comme son propre corps, inconscient et meurtri. Cette vision restait fixe alors qu’une autre tentait de s’imposer, celle du film qui continuait. Les deux images entrèrent en collision : celle des deux corps et celle du film des résistants qui tentait d’effacer l’autre. Doglover lutta intensément pour conserver l’image de son corps et pour comprendre ce qui lui arrivait. Le film continuait en arrière-plan : « …des puces implantés dans la peau… ».
Doglover eut alors la certitude qu’il était en fait inconscient depuis qu’il avait chuté de l’antenne et qu’il se trouvait, de façon inexplicable, dans la conscience de l’autre homme. Il comprit qu’il s’agissait là de la représentation du monde tel que le voyait l’homme et qu’il serait prisonnier de cette distorsion du réel tant qu’il resterait inconscient. La partie logique de son cerveau, soumise à de si rudes épreuves, se révolta tant et si bien qu’il se retrouva comme projeté en dehors de la pièce et retourna à l’endroit où tout avait commencé. Doglover se trouvait maintenant projeté auprès de son corps physique, il voyait des gyrophares au loin et des soignants accourir pour le secourir. Lorsqu’il ouvrit les yeux, il se trouvait dans un lit d’hôpital. Il sut qu’il était dans le vrai monde lorsqu’il sentit la douleur émanant de tout son corps. Plusieurs côtes cassées, potentiellement une jambe, évalua-t-il.
Une infirmière fit irruption dans la pièce pour lui raconter comment il avait chuté, comment on l’avait secouru, lui et l’homme aux jumelles : « un blogueur très connu venu cartographier et analyser l’environnement, semaine après semaine, près des antennes-relais ». Elle ajouta qu’il était célèbre dans les sphères complotistes et l’un des premiers à avoir fait le lien entre les antennes 5G et la diffusion du coronavirus. « Vous comprenez, elles sont porteuses du virus et déciment l’environnement sous le contrôle de Bill Gates, ou quelque chose comme ça », ajouta-t-elle en souriant.
En partant, elle alluma la télévision pour que le malade puisse penser à autre chose que ses membres douloureux. On était jeudi, il était 18 heures : à la télévision le premier ministre expliquait que le moyen le plus efficace pour lutter contre le virus consistait à aérer les pièces. « Enfin de retour », pensa Doglover avant de sombrer dans un profond sommeil.