Il vous est peut-être déjà arrivé d’avoir le fantasme d’un mot. Que l’épaisseur du sens associé au roulement des sonorités (la manière dont glissent les consonnes, caressent les voyelles – ou inversement) excite en vous quelque chose. Dans ce texte, le mot est un prénom. Le mot, ce sont tous les prénoms des autres devenus des fétiches à l’oreille mentale du personnage principal. Bien plus qu’une affaire de lettres, il est question du goût de ce qui désigne l’autre. A l’occasion de ce kink étonnant, deux êtres se retrouvent et plongent les lèvres dans leur béance étrange.
Après le rouge de Noël, voici le Dimanche Rose par Jimmy Le Bigaut.
Je t’aime
tu m’aimes
accroche mes couilles
à un cerisier
Hubert Selby Jr.
Il est fétichiste des prénoms. Il a découvert ça avec le temps.
Il aime être secoué ; être confronté au plus grand classicisme comme au plus rare.
Des décharges électriques dans son corps. De petites secousses, c’est l’effet. L’effleurement du fer du fil qui garde un champ. Voilà l’effet. On passe par dessus ou par dessous. La tête ou la jambe ou un bras nus, ou les parties veinées, nerveuses, cartilagineuses, poilues frôlent et c’est la décharge électrique.
Avec les prénoms, certains prénoms, des prénoms jusque-là inconnus par lui ou trop bien nichés dans son cerveau dans son corps, c’est la décharge électrique. Dans un premier temps, il n’a pas besoin de voir le visage ni le reste de celle qui porte le prénom. Oui, dans son cas ça ne volte qu’avec des filles, des femmes. Il aurait bien aimé avec des hommes aussi, par souci de rigueur essentiellement.
Dans un temps plus avancé, après que le prénom lu ou entendu lui a fait ce mal agréable, c’est une autre quête. Un vortex. Des vortex. Rien ne le fait plus jouir que ces vortex corporels qui sont un nombre arrêté, défini, inextensible. Ces actions tournées sur elles-mêmes ; où donneur et receveur s’annulent presque, où le don est le miroir du recevoir. Mais tout part du prénom, toujours. Les degrés d’intensité vont crescendo mais disons que ça commence, banalement, avec regarder les yeux, regarder ses yeux, au prénom. C’est une action à la fois. Se concentrer uniquement là-dessus. Sentir qu’on regarde ce qui nous regarde, précisément, loin dans les couleurs confondues, ou sous la couche première du vernis de l’œil, du noir, du blanc, des espaces, des profonds. La bienséance des premières fois veut qu’il lui est possible tout de suite de sentir le nez. Il passe ses creux dans les creux du nez du prénom, ça s’emboîte ou ne s’emboîte pas. Comme l’e dans l’a ou le b face au p. La suite s’en trouve ravie : embrasser la bouche. Bouche sur bouche ; mouvement d’instinct, mouvement suiveur, mouvement barreur sur l’eau des bouches. Peut-il combiner ces trois premiers vortex : regarder les yeux en sentant le nez et en embrassant la bouche ? – il n’en est pas encore au brouillage, à la fonte des étapes les unes en les autres. Les tout débuts méritent une attention de chaque parcelle, une à la fois. Parler sur la bouche, aussi, alors, dire le prénom sur la bouche striée, bien l’articuler ; et ensuite avec les deux bouches synchrones dire à deux le prénom sur les bouches. Puis vient lécher la langue. La salive lubrifie encore le muscle rose déjà mouillé, fait jouer les micro picots sur sa langue. Il lape ; large mou depuis la base, puis serré dur du bout de la langue. Il y a tenir la main, ça va sans dire, mais pas avant d’avoir lécher la langue du prénom. Langues à l’air. La main est prise, les mains sont prises, les visages font encore ce qu’ils ont déjà fait. Plus tard, mais pas trop, gratter l’ongle, gratter les ongles. Délicatement. Des mains, des pieds. Doigts sur doigts, orteils sur orteils. Il sent la douceur du lisse, la dureté du cassable. À la suite de quoi marcher sur les pieds – nus sur nus – se fait facilement dans un couloir un matin. Cette marche-danse comme avec un enfant dont on tient les mains en l’air et qui avance cahotant sur nos pieds entre nos jambes. Là c’est face à face, c’est le prénom qui accueille ses pieds et donne la cadence par capillarité. Avant de mordre les dents du prénom. Douceur toujours de l’émail, puis animalité qui s’amplifie. À cette étape parfois : coincement, première interrogation du prénom. Traîner en longueur, recommencer depuis le début, perfectionner chaque étape, rendre évidente la suite est un processus qu’il connaît, qu’il sait. Chaque prénom a son rythme, ses limites, rigides ou élastiques. Il convient d’abandonner vaguement le haut pour s’établir plus bas, où les points paradoxalement sont davantage. S’assoir sur les fesses du prénom, oui. Les peaux toujours nues, s’assoir, sentir le passage de l’air, les plis dans les plis, le cuir du cul tiède sur le cul froid, ou les chauds déjà collés, moites. Dans plusieurs positions, le panel est large. S’allonger sur le corps, cela va sans dire, mais c’est presque trop général, il le fait pour les formes, bien à plat les jambes et les bras écartés, en étoile, ou comme un seul trait épais – tête-bêche, recto-recto, verso-recto etc. etc. Tout est lent d’abord, sans temps, puis fourmillant, sans temps toujours. Dédale d’intensités, sans parole. Il est de ces étourdissements qui ne se gagnent que par les gestes, guidés ; le désir sans mots dits. Plus technique maintenant : cracher sur le crachat. Le prénom commence de saliver, bave de l’amour, et lui bave sur la bave, collé-collé bouche sur bouche. Cracher sur la bouche, avant. Il faut parvenir à ce que le crachat du prénom, qui suivra cette étape de cracher sur la bouche, après qu’il lui a communiqué sans parole de lui cracher dessus ou qu’il n’a pas eu besoin de le faire, que son crachat percute l’autre crachat en vol. C’est une décharge plus forte encore quand la boule d’écumes mélangées retombe dans la bouche du prénom, ou en partie. D’autant plus quand il n’est pas prévenu du crachat et qu’il doit réagir au millième de seconde. C’est technique, mais parfois il y parvient. Des coulées lentes de lave brûlante dans le trou rose aux postillons énergiques de l’impatience, tout conduit à la jouissance.
Les étapes suivantes du vortex nécessitent une intimité plus poussée. Certains prénoms ont abordé naturellement la marche à faire, l’ont accueillie. Pour d’autres c’est plus long, l’amour doit y être absolu, la confiance aussi. La décharge n’en sera que plus forte. Quand c’est effectué sans désir plein il en ressort déçu et ne retente pas l’expérience avec le prénom. Le prénom doit y prendre plaisir, c’est plaisir sur plaisir ou le vortex est nul. La spirale arrive. Dehors, au bord d’un lac l’été ou pleine forêt au printemps, ou sous la douche, dans la baignoire, ou sur le carrelage nu : uriner sur l’urètre et par là-même, ensuite, uriner sur la pisse. Comme le crachat est la conséquence, le produit de la bouche, sa finalité, il convient de cracher sur l’outil (la bouche) ainsi que sur le produit (le crachat), la pisse est le produit de l’urètre – il simplifie pour ne pas avoir à dépecer le prénom et devoir lui pisser à l’intérieur du corps, ce qui ne l’exciterait pas du tout, mais alors pas du tout du tout. Enfin, et c’est là que le vortex atteint une acmé des plus troublantes, des plus repoussantes parfois : déféquer dans le cul. Plus technique, moins convaincante sur le papier, mais point d’orgue de ce vortex marathon, c’est l’ultime étape, acceptée par peu de prénoms. Il est parfois jeté ou simplement éconduit ; fans de Sade et de Pasolini comprises. Lui s’en va quand il est certain qu’il n’y aura aucune possibilité de parvenir à cette fin. Juste avant, il ne faut pas oublier les préliminaires de la catégorie : prouter sur l’anus. Et donc péter sur les prouts ; vous saisissez la nuance depuis le crachat. Des petits ronds, perles de vent, comme dirait Jean de Dieu Monteiro, délicat, adorateur de poils pubiens comme lui. Le sérieux n’empêche pas le rire. Il n’y prend pas un plaisir monstre, contrairement à uriner sur l’urètre ou lécher la langue, mais il ne peut pas ne pas faire exploser la boucle du vortex sans déféquer dans le cul. En vérité c’est déféquer sur le cul, pas à l’intérieur, naturellement. Tout se pratique dans les deux sens, avec un sens de l’hygiène certain, autant que faire se peut ; certains plats sont à proscrire les 24 heures précédentes.
Il y aurait fairebattre le cœur sur le cœur mais cela nécessiterait, une nouvelle fois, de se débarrasser des peaux, pas sûr qu’il y survivrait ni qu...