Pourquoi me demander un cahier de vacances ? Je veux dire, est-ce qu’on s’attend à lire des vacances d’écrivaine ? Moi je m’endors parce que je sors mon bouquin sur la plage, alanguie par le soleil, le silence ; le livre se retrouve sur ma tête comme un petit auvent pour abriter mes rêves.

Pourquoi me demander un cahier de vacances ? Je veux dire, est-ce qu’on s’attend à lire des vacances d’écrivaine ?

J’écris un peu, certes. Je note surtout des phrases que j’entends et qui me plaisent. Je n’ai aucune idée de ce que j’en ferai ; peut-être rien. Je les relirai toujours avec plaisir, parfois j’aurai simplement oublié leur contexte d’origine. 

Pendant mes vacances, je croise quelques jours un couple d’ami·es, et leur toute petite fille. Elle a 3 ans. Elle a une mémoire incroyable ; tu peux être sûr·e que si elle capte quelque chose qui la marque, qui l’intéresse, tu ne sais pas trop pourquoi ça l’intéresse plus qu’autre chose d’ailleurs, de toute façon tout l’intéresse, elle prend tout, à la première occasion elle te le ressortira (à sa sauce). Elle s’approprie les histoires, même celles que ses parents ont vécues avant qu’elle naisse. Bonne mémoire, approximative, disons inventive, mais bonne sans nulle doute. La seule chose qui pèche c’est le calendrier. La chronologie. La notion du temps. Alors j’ai cueilli, pour ma collection des phrases qui me plaisent,

C’est comme hier ou jadis.

Je regarde l’enfant faire sa vie, rire – je ne crois pas l’avoir vue pleurer –, jouer à la plage, se plaindre, chouiner, refuser, plaisanter, chercher la chamaille, écouter, demander… Elle a trois ans et l’âge auquel les moments que tu passes à faire des choses, n’importe quelle activité, prennent relativement une part immense de ta vie. Partir en vacances une semaine, rapporté à son existence, c’est un break que tu n’imagines même pas. Mais un break de quoi, alors ?

Je pense à mon enfance, et puis l’enfance en général. Le temps où chaque chose faite est considérable dans son rapport à ta vie ; ce temps-là est précieux et s’amenuise plus il est goûté. Mais ce n’est pas grave ; chaque fois que tu le goûtes, c’est pour la vie que tu en gardes la trace. Le tout c’est de ne pas trop être nostalgique, à la fin. 

La mémoire de mon enfance est un fleuve sans amont ni aval ; qui court depuis le cœur de mon frère et le mien, indistinctement.

Ça a été une vraie chance pour moi de grandir avec mon frère. Parce que j’ai pu, et je peux, rétrospectivement, regarder ce temps que nous avons grandi ensemble. Je dis bien : c’est ensemble que nous avons grandi le temps. Seule, je ne saurais dire si j’ai transformé les souvenirs d’un ou deux moments en habitude d’une demi-douzaine d’années. La mémoire de mon enfance est un fleuve sans amont ni aval ; qui court depuis le cœur de mon frère et le mien, indistinctement.

Tu te souviens que… ? Oui, je me souviens. Quelle chance nous avons eue !

On me demande un journal de vacances, et me voilà à livrer une pensée de l’enfance. C’est ok : si les vacances ne servent pas à cela, alors rien n’y servira. Enfance rime avec vacance et c’est tant mieux – elles sont faites l’une pour l’autre. Le temps de l’enfance est un temps hors ancrage, de même que celui des vacances, et la meilleure chose qui puisse nous arriver lorsque l’on en prend, c’est de retrouver cette perte d’ancrage pour nous catapulter dans des dimensions insondables, et sans mesure. 

Avec l’enfance, je me suis prise à penser à ce que c’est que de grandir. Mais ce n’est pas grandir que je cherche à dire, c’est : apparaître. Comme un·e enfant apparaît dans sa « première et jeune nouveauté », comme dirait Ronsard, et que ...