Dans une chambre d’hôpital, une mère à l’agonie et une fille rongée par les silences s’affrontent sous le masque de l’amour. Faux gestes tendres, vérités esquivées, et le poids des reproches jamais formulés. Cloine propose ici un texte dur mais émouvant sur l’ambiguïté de l’amour entre une mère et sa fille.
— Suis-je une bonne mère ?
Sa bouche tombe toujours quand elle demande. Ses yeux brillent légèrement d’une lueur dont aucune chaleur ne se dégage. Elle a l’air si malheureuse ! Mais il ne faut pas s’y tromper : c’est une prédatrice qui n’agresse personne. Quand elle pose cette question, rien n’est en jeu, car la réponse est évidente. Elle-même le sait, bien qu’elle prétende être intéressée par la vérité. Son petit manège est prémédité : elle s’assure à chaque fois de son pathos, pour que je ne puisse pas me défendre sans être cruelle. Si au moins elle m’avait détestée, j’aurais eu une bonne raison de le lui rendre.
Cette colère qui me ronge, il faut la réprimer en attendant le moment propice qui n’arrive jamais. Elle se donne l’air stupide pour que je la crois innocente, et ne fait rien qui justifie que je la batte. Alors, c’est moi-même que je punis à sa place. Aujourd’hui encore, je me tairai, car la vérité exige une intimité qui me dégoûte.
« Suis-je une bonne mère ? »
Je réponds toujours oui. Une fille doit savoir mentir pour être bonne à son tour. À la naissance, chaque humain·e passe ce contrat tacite avec ses parents, même si un seul des partis est au courant.
Je lui tiens la main. C’est ce qu’elle a exigé. Elle n’a pas eu besoin de le dire, je l’ai compris seule. Je dois être subjuguée, m’étouffer avec mon amour. C’est le rôle qu’elle m’a attribué en me mettant au monde. Soixante ans après, je me demande encore quoi vénérer. Elle est quelconque, comme la plupart des parents.
De sa main libre, elle me caresse le visage.
— Qu’est-ce que tu es vieille, ma fille.
— Pas autant que toi, maman.
Les infirmier·e·s sont en alerte. Iels savent qu’elle va bientôt rendre le corps. Je suis soulagée qu’iels soient là, car au moins, je peux prétendre que je joue pour un public. Il est très important d’avoir une audience quand on est aussi doué·e que moi.
Jusqu’à maintenant, il n’y avait que les oiseaux devant la fenêtre de notre maison, les quelques cafards dans la cuisine, ou encore les poissons rouges dans le salon pour assister à notre comédie quotidienne. Nous ne négligions pas leur attention pour autant ; nous répétions sans cesse devant eux entre les représentations. Parfois, c’était pour les voisin·e·s qui passaient prendre le café. Parfois, c’était pour un de ses hommes. Souvent, c’était dans le vide. Maman n’a pas aimé grand mo...