Pour son premier long-métrage, After, Anthony Lapia se jette avec passion dans le monde de la techno et des fêtes souterraines. Loin d’y trouver l’oubli du monde, il en tire un film tendre-amer, vibrant d’humanité, à l’image de ses teufeurs mélancoliques.

After

Le film de teuf est un genre bien codifié. Il y faut de la drogue et de la musique forte. Il y faut des corps qui exultent, vus de près et en immersion. Il y faut enfin des intrigues de boîte, des jalousies, des bagarres, des romances contrariées. Si After souscrit à certains de ces codes, ce n’est au fond que pour mieux les briser. La radicalité de son geste, la sincérité de sa voix donnent une autre portée au film festif : fête noire et plus que noire, la teuf d’Anthony Lapia creuse l’intime des corps dansants. La rencontre de Saïd, chauffeur VTC (Majd Mastoura), et de Félicie, jeune avocate (Louise Chevillotte), est l’occasion de sonder les êtres, et d’explorer les terreurs qui grondent au fond d’un cœur teufeur. 

Vive la fête

L’image est sale, comme tous ces non-lieux de la rave : hangars, terrains vagues, parkings souterrains. Elle est dégradée comme les corps qu’elle expose, et comme eux suante, éreintée. Elle est pleine d’ombre, le fond en est noir mais d’un noir trouble, grouillant de toutes sortes d’artefacts comme la neige statique des anciens téléviseurs. La peau seule est lumineuse, la peau des corps qui dansent, jaune, orangée, luisante. Les visages expriment indifféremment le plaisir et la fatigue, l’inconfort et la plénitude. La musique est par-dessus comme une nappe, elle a fait taire tous les bruits, son emprise est tyrannique.

Les sons reviennent. La musique est lointaine maintenant, à peine audible derrière la rumeur des conversations. C’est l’arrière de la fête, et les corps qui dansaient là-bas sont ici avachis, entassés sur des canapés ou à même le sol. Tout le monde parle, on fait connaissance. C’est le lieu des échanges : taxer une clope, du feu, proposer telle ou telle substance, faire tourner. Les corps sont tendus les uns vers les autres, saisis dans des gestes divers, dans toutes les positions, tous les états de l’attente ou de l’abandon et pris dans cette lumière qui vient dont ne sait où, comme dans un tableau de la Renaissance.

La musique recommence, les mêmes corps et d’autres sont repris par la furie de la danse. On reconnaît des visages, la teuf est comme un intermède ou plutôt comme la poursuite par d’autres moyens des petits drames de rien esquissés dans ses intervalles, devant le miroir des toilettes mixtes, sur les bords de la piste où l’on crie pour s’entendre.

Deux personnages émergent, mais à peine. Pour un peu on pourrait les manquer. Même si Saïd et son crâne rasé, son visage juvénile semble capter toute la lumière, même si l’intensité des regards que jette Félicie font pressentir des romances et des tourments, on pourrait passer à côté d’eux. Car il n’y a pas de hiérarchie, dans les saynètes que construit Anthony Lapia : ce garçon qui propose de la drogue à tous ceux qu’il croise, cette jeune femme qui s’endort ivre entre les bras d’un inconnu, ce couple qui se sépare...