Régine Detambel est l’auteur d’un ouvrage sur la bibliothérapie, inspiré des travaux de Michèle Petit. Zone Critique revient pour vous sur ce précis de lecture thérapeutique publié en 2015 chez Actes Sud.
En mai 2016, lors du Festival littéraire de Sydney, une nouveauté attendait les badauds. L’organisation avait fait de la bibliothérapie le thème phare de cette grande foire aux auteurs : une madame Irma se tenait à disposition du public pour conseiller, au cours de ce qui avait tout d’une séance de chiromancie, tel ou tel titre en fonction du mal-être des personnes présentes. Dans Les livres prennent soin de nous, Pour une bibliothérapie créative, Régine Detambel s’insurge contre cet usage galvaudé de la bibliothérapie : « Attention, le bibliothérapeute n’est pas un documentaliste. Il est donc inutile de n ’en attendre qu’une liste de titres thématiques qu’on voudrait espérer thérapeutiques uniquement parce qu’ils traitent du sujet concerné. Le geste de bibliothérapie, le lien qu’il instaure sont évidemment plus profonds, plus subtils, et engagent une véritable relation de personne à personne, de lecteur à lecteur. La bibliothérapie doit absolument se défendre de n’être qu’une simple prescription, cela n’aurait aucun sens. »
On ne saurait donner tort à l’auteur de voir en cette mascarade divertissante la dérive d’un concept paramédical, remis au goût du jour par le docteur Pierre-André Bonnet, un généraliste qui lui a consacré une thèse de troisième cycle.
Des vertus de la lecture
Régine Detambel souhaite nous convaincre des maintes vertus des livres et de la lecture, au-delà des capacités cognitives qu’on leur prête d’ordinaire.
Au moment même où l’on valorise la cognition chaude (qui associe raison et émotions) et où l’on cherche à circonscrire le rôle utilitaire des belles-lettres (1), Régine Detambel souhaite nous convaincre des maintes vertus des livres et de la lecture, au-delà des capacités cognitives qu’on leur prête d’ordinaire : augmentation du capital intellectuel, accroissement du degré d’alphabétisation, sédimentation du savoir via un meilleur ancrage cognitif, valeur patrimoniale des lectures qui établissent un canon culturel, pour ne citer qu’elles. Les œuvres auraient ainsi un pouvoir mélioratif sur la santé mentale, un pouvoir réparateur à l’image des contes que l’on relit aux enfants chaque soir, voire un effet anxiolytique et un pouvoir consolateur, autant de propriétés qui ne sont pas sans rappeler l’épisode de la petite Liesel Meminger, le personnage éponyme de La Voleuse de livres (2005), faisant la lecture à Max, un réfugié juif mal en point et activement recherché par les Nazis, afin de le ragaillardir :
« Chaque jour, Liesel lisait deux chapitres, un le matin avant d’aller à l’école et un autre dès son retour. Parfois, le soir, lorsqu’elle ne trouvait pas le sommeil, elle lisait aussi la moitié d’un troisième, et il lui arrivait de s’endormir, le nez sur son livre. Elle fit de cette lecture une mission. Elle offrait Le Porteur de rêves à Max, comme si les mots seuls pouvaient le nourrir. Un mardi, elle eut conscience d’un mouvement. Elle aurait juré qu’il avait ouvert les yeux. Dans ce cas, cela aurait été très fugitif. A vrai dire, c’était plutôt le fruit de son imagination et de son désir de le voir s’éveiller. » (2)
Mais ce n’est pas tout ! Les œuvres auraient aussi des vertus roboratives, sinon anti-dépressives, sécurisantes, et j’en passe.
La lecture comme soin
Les mots deviennent tour à tour un soin palliatif, un soin curatif voire un soin préventif.
Du fait qu’un médecin soit à l’origine du renouveau de cette discipline et qu’il s’agisse de thérapie avant tout, on ne sera pas étonné de trouver ici et là des métaphores médicales et un lexique spécialisé. La passion de l’auteure pour la médecine remonte à un intérêt de longue date puisqu’en 2001 Régine Detambel avait participé à un ouvrage collectif intitulé Littérature et médecine ou les pouvoirs du récit. L’on ne peut nier que l’interaction de ces deux domaines d’exploration a donné lieu à de féconds échanges qui ont élargi la production littéraire au fil des siècles. (3) Il est donc tout naturel de retrouver dans Les livres prennent soin de nous des concepts comme la « médecine narrative » qui se pratique depuis des années aux Etats-Unis et qui tend à accroître l’empathie chez le personnel soignant par le truchement de la créativité littéraire pour le plus grand bénéfice des patients. En outre, aussi surprenant soit-il, il est fait un usage clinique de la métaphore : les mots deviennent tour à tour un soin palliatif (de par leur effet antalgique, ils soulagent la souffrance des personnes atteintes d’un traumatisme), un soin curatif (puisqu’ils pourraient potentiellement guérir les plaies de l’âme) voire un soin préventif (s’ils empêchent la répétition des maux). La métaphore permettrait donc aux patients de penser/panser les blessures de leurs histoires :
« Aujourd’hui, en psychologie clinique, un certain nombre d’écoles de thérapie mentale préconisent l’emploi d’histoires en relation métaphorique avec la difficulté du malade souffrant d’un traumatisme psychique (deuil, rupture, viol…) ou physique (accident, attentat…). L’école d’hypnose de Milton Erickson propose une méthode de métaphores thérapeutiques à composer puis à intégrer dans une histoire destinée au patient. »
Pour convaincant qu’il soit, Les livres prennent soin de nous me laisse songeur sur un aspect en particulier : le fait que Régine Detambel convoque régulièrement ses camarades écrivains pour attester des bénéfices multiples des livres. A une question telle que : « Alors, écrire, lire, est-ce vraiment thérapeutique ? », les avis autorisés de Goethe, Thomas Bernhard, Kafka, Virginia Woolf, Marguerite Duras, Henry Bauchau, Colette, Stig Dagerman, Jean-Jacques Rousseau, Philippe Forest, Pascale Roze, etc. constituent un véritable florilège d’exemples et de citations qui produisent un effet catalogue, sans pour autant convaincre le lecteur qui percevra ces locuteurs comme étant juges et parties. Il eût été plus judicieux de s’appuyer sur des données scientifiques pour trancher ces questions passionnantes.
Malgré cette petite réserve, je recommande chaudement la lecture de ce livre qui témoigne d’un goût prononcé de la lecture et des mots. A la suite de Kafka, je me permets de prodiguer ce conseil : allez en librairie et procurez-vous ces haches pour briser la mer gelée en vous.
Notes
(1) Depuis ces dix dernières années notamment, un bon nombre de théoriciens s’interrogeant sur l’utilité de la littérature a cherché à faire débat et à analyser l’étrange désaffection qui frappe le fait littéraire. Voyez par exemple les ouvrages de Dominique Maingueneau, Contre Saint-Proust. La fin de la Littérature (Belin, 2006), de Tzvetan Todorov, La Littérature en péril (Flammarion, 2007), d’Antoine Compagnon La littérature pour quoi faire ? (Fayard / Collège de France, 2007), d’Yves Citton, L’avenir des humanités. Economie de la connaissance ou cultures de l’interprétation ? (La Découverte, 2010), de Vincent Jouve, Pourquoi étudier la littérature ? (Armand Colin, 2010), et plus récemment celui de Jean-Marie Schaeffer, Petite écologie des études littéraires. Pourquoi et comment étudier la littérature ? (Thierry Marchaisse, 2011).
(2) M. Zusak, La Voleuse de livres (Paris : Pocket, 2008), 379.
(3) Pour un rappel des titres: http://www.weblettres.net/spip/spip.php?article282
- Régine Detambel, Les livres prennent soin de nous, Pour une bibliothérapie créative, 176 p., mars 2015, 16 euros.