Le festival America qui s’est ouvert sur des flots de champagne dans le beau cadre de la Mairie de Vincennes, et qui a accueilli sur un tapis rouge les plus grands auteurs du continent, de Colson Whitehead a James Ellroy, nous donne l’occasion de cartographier la littérature américaine contemporaine. De S.A. Cosby à Tyriek White et de Nathan Hill à Jakob Guanzon, cette littérature, hantée par les fantômes de son passé, tourmentée par la violence de son histoire, est aussi résolument tournée vers les enjeux de son époque, de la crise économique aux bouleversements écologiques. 

Lieux hantés, âmes tourmentées

Dans Le Sang des innocents, le troisième roman de S.A. Cosby, publié aux éditions Sonatine, l’auteur explore ainsi le Sud, cette terre marquée par des siècles de violence, à travers l’enquête de Titus Crown, un shérif noir. Mais cette enquête est un prétexte pour explorer un territoire qui devient sous la plume de son auteur “un espace gothique” (Carla Ouhoud), un univers surnaturel hanté par des siècles de souffrance, travaillé par une culpabilité collective ; car « Le Sud ne change pas. On a beau essayer d’oublier le passé, il finit toujours par se rappeler à nous de la pire des manières […] Seuls les noms, les dates et les visages changent – et encore, pas nécessairement. Parfois, quand on ferme les yeux, ce sont les mêmes visages qui apparaissent. Les mêmes visages qui vous attendent dans l’obscurité. »

Chez Tyriek White, Brooklyn est également un lieu hanté. Dans son roman Les fantômes de Brooklyn, l’auteur nous dépeint une ville à la fois envoûtante et insalubre, inondée par la lumière rouge du coucher de soleil, où les amoncellements de déchets côtoient les usines. Par son style métaphorique, l’arrondissement de New York situé à l’extrémité de Long Island devient une jungle urbaine et envoûtante, un lieu magique à la beauté sauvage, abritant l’existence de trois protagonistes qui sont des descendants d’esclaves au sang-mêlé… Avec beaucoup de subtilité, l’auteur nous décrit le racisme et la pauvreté, mais sans jamais écraser le lecteur ni effacer le charme poétique d’un lieu qui est le véritable héros du récit. 

La mémoire de l’Amérique des déclassés est également au cœur du roman de Justin Torres, Blackouts : en ressuscitant la figure de Jan Gay, une journaliste et activiste lesbienne américaine, ce roman composite au dispositif narratif original, “redonne une voix à des populations longtemps stigmatisées, marginalisées, étouffées, qu’elles soient homosexuelles, pauvres, étrangères” (Mathieu Champalaune). Justin Torres s’attache tout particulièrement à la mémoire effacée, aux trous de l’histoire, aux blackouts, que la littérature permet précisément de révéler. 

L’Amérique de Walmart et de Trump

Mais la littérature américaine a également les yeux rivés sur son présent, et sur les grands défis de son époque. Jakob Guanzon, que nous avons rencontré, nous décrit dans son roman Abondance, qui commence dans un McDonald’s et se termine dans un Walmart, une Amérique écartelée entre l’abondance promise par la société et l’extrême pauvreté des deux protagonistes, à travers la déambulation d’un père et de son fils sans abri, dans une Amérique ravagée par le consumérisme. Quant à Stephen Markley, dans son roman d’anticipation Le déluge, il imagine “Une extrême-droite qui ferait presque passer Donald Trump pour un bouffon peroxydé et inoffensif.“ (Cécile Péronnet).

Un dossier coordonné par Sébastien Reynaud

Avec les contributions de Cécile Péronnet, Mathieu Champalaune et Carla Ouhoud