Avec Ancora tu, donné au Théâtre du Train Bleu dans le cadre du Festival Off d’Avignon, Salvatore Calcagno met en scène avec sensualité, chaleur et transports les derniers souvenirs d’un amour perdu. Le titre, Ancora tu, est à lui seul un programme et une clef de lecture : la musique de l’italien inscrit dans l’oreille et dans l’œil du spectateur une lumière intense, gorgée de soleil, de plaisirs et de douceur. La référence au tube de Lucio Battisti qui chante le poème d’un amoureux se refusant à voir l’être aimé partir donne le ton au spectacle autant qu’elle annonce la place importante accordée à la musique, à l’image – celle qui persiste dans le cœur – et au corps – celui qu’on voudrait caresser encore et toujours et magnifié par la présence et le jeu magnétique de Nuno Nolasco.
Lorsqu’il accueille les spectatrices et spectateurs, le comédien né au Portugal Nuno Nolasco, assis derrière un ordinateur posé sur un bureau de travail où s’amoncèlent livres, clopes et flacon de parfum, cherche d’emblée à capter le regard des uns et des autres. Il a le sourire aux lèvres, il a l’euphorie électrisante de celui pour qui l’amour est une fête. La musique pop qui résonne dans la petite salle du Train Bleu vient parachever cet accueil chaleureux et cette invitation faite au public à être en empathie totale avec le personnage de Nuno. Il pose le cadre : la représentation sera l’occasion de convoquer certains des souvenirs marquants de son histoire d’amour passionnée avec Salvatore avec qui il travaillait à un spectacle pour Avignon avant que son départ ne vienne tout chambouler, laissant Nuno se débattre dans la horde de ses souvenirs encore brûlants. D’emblée, les lignes sont floutées, donnant forme à un spectacle qui joue entre autofiction et fiction et où seuls les sens et les sensations demeurent des certitudes. La vérité et le mensonge ne sauraient résister à l’épreuve du corps.
La vérité et le mensonge ne sauraient résister à l’épreuve du corps.
Synesthésies du souvenir amoureux
Sur un tableau noir sont inscrits, en deux colonnes, les mots-clefs d’une histoire d’amour allant de « L’amour le matin » à « Mes adieux ». Des spectatrices et spectateurs choisis au fur et à mesure de la représentation sont invités à sélectionner un mot parmi les deux ou trois que Nuno Nolasco leur propose avant qu’il ne livre le souvenir que le mot enferme. Pourtant, jamais il ne s’agit de mots en deux dimensions. Chaque souvenir est une expérience des sens : de la capsule audio lancée par le comédien en direct depuis son ordinateur à l’extrait de film ou au diaporama de photos vidéoprojetés, en passant par les morceaux de musique, les extraits de poèmes et ceux du parfum vaporisé dans la salle, les souvenirs de l’amoureux renaissent dans toute leur matérialité, dans toute leur sensualité, dans toute leur volupté. Même l’accent portugais de Nuno Nolasco donne aux souvenirs une musicalité unique et qui précipite d’emblée le spectateur dans une autre réalité, qui vient se surimprimer au récit du souvenir lui-même.