Que sait-on vraiment d’Antonin Artaud (1896 – 1948) ? Comment être sûr en tentant de le définir lui ou son travail, de ne pas se limiter aux redondantes et sclérosantes dénominations de « fou » ou « torturé » , de ne pas réitérer les propos de tant d’autres comme Evelyne Grossman ou Jacques Derrida ? C’est à une multitude de questions touchant à la poétique artaudienne, à ses fondations et origines que Françoise Bonardel se propose de répondre dans son essai Antonin Artaud ou la fidélité à l’infini, un livre qui, sous l’angle de l’alchimie et des sciences occultes se fait sans nul doute important pour la compréhension de ce créateur atypique.
C’est au sein d’un ouvrage complet, dense et, malheureusement -devrait-on dire inévitablement- difficile d’accès, que, se nourrissant des œuvres complètes de l’écrivain et ponctuant son propos de citations choisies, Françoise Bonardel ne cesse de se recentrer, au fil des huit chapitres structurant sa réflexion, autour du Antonin Artaud théoricien de ses propres processus de création. La mise en regard de sa conception littéraire avec celles parfois opposées de ses contemporains est également un leitmotiv. Qui mieux qu’elle, véritable spécialiste de l’alchimie, aurait pu parler de l’homme qui voulait élever le corps à la hauteur de l’esprit de l’âme, le transformer, le fusionner ?
Car après tout, comment lire, définir, expliquer la création d’Artaud sans venir ajouter au mythe, sans en passer par l’exposé de sa vie qui fut souvent extra-ordinaire, sans en passer par une écriture elle-même mystique et obscure ? C’est donc en retraçant son parcours personnel autant qu’artistique, son intérêt fugace pour le surréalisme, sa tentative d’être un homme de théâtre, le bouleversement causé par la découverte de la culture Mexicaine, que l’on peut espérer donner à voir au mieux l’homme inventif et révolutionnaire.
Une grande importance est accordée à sa création dramatique, celle du « Théâtre de la Cruauté » qui, à l’image de l’ensemble de son Oeuvre, est le reflet de cette tension « infinie », de ce perpétuel entrelacement des contraires auxquels sont sujets ses écrits de toutes sortes. Il faut débarrasser la littérature, l’art, le monde et à fortiori l’Homme de cette sclérose de son temps, de cette bienséance, de cette inconscience : le langage n’est pas subordonné à l’art, il est l’art. C’est en voulant révéler la Vérité, que l’oeuvre artaudienne, tout comme l’homme, se révèle « abyssale et lumineuse » sans jamais toutefois tomber dans l’écueil de la demi-mesure : tension entre le recommencement et l’anéantissement de toute forme de création, l’horreur et le sublime autant dans les mots que les images.
Pourquoi, alors même qu’une exposition revient sur son parcours au milieu des œuvres de Van Gogh -donnant naissance au sublime et volcanique Suicidé de la société– ne pas se plonger dans les turpitudes de l’esprit d’Antonin Artaud pour y (re)découvrir l’essence lumineuse de ses espoirs littéraires ?
- Antonin Artaud ou la fidélité à l’infini, Françoise Bonardel, Editions Pierre-Guillaume de Roux, 432 p., 32 euros, 20 février 2014
Camille Gancel