Épisode 1: toute photographie est une fabrication

Quatre jours aux Rencontres d’Arles, sous 35 degrés. Festival, Foire, et marathon. Après une édition 2024 aux revendications plus tièdes, celle de 2025, titrée « Images indociles », se veut plus resserrée, plus « engagée ». Mais que peut une image, dans le monde d’aujourd’hui, dystopique et saturé de représentations ? Tentative d’une sélection.

À Arles, la mairie est de droite. Et elle tient à le faire savoir : deux grands drapeaux français cascadent du toit au sol. Les couleurs flashy jurent sur la pierre XVIIIe, mais le geste municipal n’intéresse personne. Il fait de toute façon trop chaud pour la guerre culturelle. Les milliers de happy few qui profitent de la première semaine traversent le charmant centre historique comme un décor. L’art mondial est là, tout son écosystème aussi : agents, journalistes culturels, commissaires, galeristes, rédactions branchées (et fatiguées), stands sponsorisés et bien sûr photographes. Il faut enchainer les expos, dix millions à peu près, presque une cinquantaine en fait, allongée encore par les off des galeries.

En tête d’affiche, Nan Goldin, évidemment, dans l’église Saint-Blaise et son Syndrome de Stendhal. Après une queue qui s’étire en plein soleil, on y découvrira un diaporama inspiré par Les Métamorphoses d’Ovide, les proches de l’artiste étant mis en scène en symétrie de chefs-d’œuvre de la Renaissance et de l’art classique. La musique du Soundwalk collective et de Mica Levi aide aux pâmoisons stendhaliennes – Aurélie*, croisé peu avant, confesse s’y être endormi trois fois. On regrettera surtout de n’avoir pas vu le happening de sa lecture d’un texte avec Edouard Louis, dans le théâtre antique, dénonçant la situation à Gaza : « 7 octobre, 7 octobre » a scandé une femme dans la foule. Présage qu’il devait/devrait bien se passer quelque chose. Mais quoi ? 

*le prénom a été modifié.

Nan Goldin.La Mort d’Orphée, 2024.
Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Gagosian.

Renseigner la dystopie actuelle

Toute photographie est une fabrication. Or, les conditions de cette fabrication sont radicalement redéfinies. Entre l’IA et la propagande de l’alt right mondiale, qui ne croit que les clichés qu’elle fabrique, la pression sur les photographes s’accentue. Pour ne rien arranger, les collectivités qui finançaient leurs projets annexes, plus libres, plus artistiques, sont exsangues : comme l’affirme Le Monde en ce début de mois de juillet, les budgets alloués à la culture ont baissé de 50% entre 2024 et 2025. C’est l’été pourtant, le vin est gratuit en vernissage, mais le vent souffle, on le sent.  

Cela n’empêche pas, encore, de renseigner la dystopie actuelle. Par une étincelante procession de clichés magnifiques, l’agence Myop s’expose dans l’enceinte des douches municipales.

L’entrée de Mes yeux, objets patients, Myop, aux anciennes douches.

À l’issue d’un couloir d’anciennes cabines tapissées d’images, le monde éclate et se diffracte. Les photographies de Mes yeux, objets patients – vers tiré de Paul d’Éluard – retrace 20 ans d’histoire et de création par les auteurs de l’agence. Refusant la distinction entre photojournalisme et série photographique, la sélection, projetée sur un écran, propose ...