Rien ne prédestinait Erwan Villard à monter sur les planches. Né à Cavaillon, entre l’ocre et le soleil, il tombe amoureux du théâtre à l’âge de six ans. Ses parents ne voient pas en cette passion un véritable métier, mais peu importe : son amour pour le jeu ne cesse de grandir et le pousse à quitter la douceur du Sud pour Paris, où il prêtera son visage, son regard et sa plume à plusieurs projets cinématographiques.

C’est au Magnum Bar, QG bien connu des élèves de l’Acting International situé rue du Faubourg Poissonnière, que je rencontre Erwan pour la première fois il y a quatre ans. En stage de théâtre et cinéma au sein de cette école à l’époque, je me suis intéressée au parcours romanesque de ce comédien en perpétuelle reconstruction. S’il avait envisagé sa vie sur les planches, c’est pourtant au cinéma qu’il se retrouve, d’abord en tant que comédien, puis progressivement derrière la caméra. Ce qui le guide, c’est un amour pour la création et la transmission auquel il se dédie en tant que professeur à l’Acting International et coach d’acteurs pour son projet I Can Act.

« Je ne viens pas du monde du cinéma. Mon père était militaire et ma mère était aide-ménagère à la Croix-Rouge. La seule empreinte artistique de ma famille est celle de mon grand-père qui avait joué dans deux opérettes. Nous avons retrouvé des documents à son sujet, mais il n’en a jamais parlé de son vivant. »

De Gargas à Paris : premières scènes 

À Gargas, Maxime Bey, alors maire du village, organise des activités de théâtre et d’échecs pour les élèves dans le milieu scolaire. Erwan y rencontre ses futurs professeurs de théâtre Michel Richard et Petra Schulz, et participe dès l’âge de 6 ans aux Soirées d’été en Luberon. Une approche de l’art théâtral qui se concentre davantage sur le naturel, le travail de la gestuelle, de la respiration, de la diction, plutôt que sur l’origine des textes. À l’âge de 22 ans, Erwan quitte le Sud pour lancer sa carrière à la capitale : 

« Quand j’arrive à Paris, je fais des rencontres qui sont déjà établies dans le milieu. On me reproche de ne pas m’être attaché à connaître les classiques, on remet en question ma manière de jouer car je n’ai pas lu tous les livres de Molière ni de Racine. Je redescends dans le Sud, et je lis beaucoup, je m’imprègne des univers de ces auteurs, même si je garde en tête que l’essentiel dans le théâtre, c’est d’abord d’être joué, interprété et vu – et non d’être seulement lu, bien au contraire. »

Alors qu’Erwan redécouvre les classiques du théâtre, il se met également à écrire une pièce, Aurélien, déposée à la SACD mais finalement non jouée. Aurélien, jeune homme perdu dans la vie, entame une introspection où il explore toutes ses faiblesses les plus difficiles à avouer. Dans un monologue presque continu, Aurélien donne à voir un personnage qui expose son intimité la plus indicible, voire incompréhensible.

Trois ans après, Erwan retourne à Paris dans l’espoir d’intégrer le milieu du spectacle vivant. Courts-métrages, régie pour les copains réalisateurs, captations théâtrale et musicale, il est sur tous les fronts pour se faire une place dans ce monde difficilement accessible. Non seulement il y a beaucoup d’acteurs, mais surtout, la plupart viennent de familles déjà implantées dans le métier. L’instabilité de ce dernier et l’immense choix qui s’offre aux metteurs en scène et réalisateurs de trouver la perle rare poussent les acteurs à se repenser sans cesse. Une expérience particulièrement marquante pour Erwan reste celle de la pièce « Le beauf de ma vie », écrite par Jerôme Decourcelles et qu’il a mise en scène auprès de Maïlis Dupont. 

Être comédien, c’est un métier de persévérance, de remise en question perpétuelle.

« Quelques jours avant les premières représentations, il m’arrive quelque chose d’assez violent. On me met sur la touche, on trouve que je n’interprète pas mon personnage comme il se devrait. Je ne suis pas assez drôle pour eux. C’est donc ma doublure qui est choisie pour le rôle. C’est d’une violence absolue pour un comédien, car non seulement j’ai invité de nombreuses personnes à ma représentation, mais surtout, j’avais travaillé dur pour obtenir ce rôle et le jouer sur scène. Je ne me laisse pas abattre. Je décide de retravailler mon personnage, de lui donner plus de substance, de le réécrire pour le rendre plus vrai – plus drôle. Je sais que ma doublure ne sera pas à la générale, j’y vais donc et je suis réintégré directement à la pièce. Être comédien, c’est un métier de persévérance, de remise en question perpétuelle. »

Une période très productive qui le mène en 2011 à se rapprocher davantage du cinéma que du théâtre : 

« En 2011, je regarde un documentaire sur la loi de l’attraction. Il y a beaucoup de préjugés à ce propos, mais c’est bien plus scientifique que spirituel. Ce n’est d’ailleurs même pas magique. À cette époque, je me suis simplement persuadé que je tournerai avec des stars. Quelques jours plus tard, on m’appelle pour tourner dans le film Stars 80 où je rencontre de nombreuses célébrités. Je suis d’abord appelé pour de la figuration, puis par la suite, pour un petit rôle aux côtés de Patrick Timsit. Je croyais sincèrement en ce film et je pensais même qu’il me lancerait. »

Mais s’ensuit une descente aux enfers. Le film n’amènera pas de nouveaux contrats à Erwan qui le vit comme un échec professionnel et personnel. Il perd espoir, et peu à peu, sa passion se transforme en carcan : 

« J’ai passé dix mois sans tourner, dans la plus grande précarité. Je ne mangeais qu’une seule fois par jour. Il faut prendre conscience que le cinéma n’est pas un monde de paillettes, il ne faut pas se lancer en pensant devenir une star. C’est un métier pour lequel on donne littéralement son âme, sa vie – sans savoir si le cinéma nous aimera en retour. »

Il me montre sa bague à l’annulaire gauche.

J’étais marié au cinéma. C’est une vraie relation de couple, avec des hauts, des bas, des luttes, des conflits, des moments de gloire.

« J’étais tellement épris de mon métier que je portais une bague pour montrer que j’étais marié au cinéma. C’est une vraie relation de couple, avec des hauts, des bas, des luttes, des conflits, des moments de gloire. Mais, c’est un amour sincère et qui prend diverses formes. Beaucoup ne seraient pas restés dans le métier. Moi, quand je suis perdu dans Paris, je cherche la Seine pour retrouver mon chemin. Quand je suis perdu dans ma vie, c’est la scène que je cherche pour me retrouver. »

Le comédien : un être d’émotions et de vérité

Une symbiose avec son métier qui se retrouve dans sa pratique de comédien. Erwan s’inspire de la méthode de Constantin Stanislavski dans La Formation de l’acteur – pour le citer : « Une vérité artistique est difficile à exprimer, mais elle ne lasse jamais. Elle devient plus agréable, pénètre plus profondément de jour en jour jusqu’à ce qu’elle domine l’être entier de l’artiste et son public. Un rôle qui est construit sur la vérité grandira, tandis que celui qui repose sur des stéréotypes se desséchera. »

L’idée principale de son enseignement est que l’acteur doit rechercher un certain naturel dans son jeu en explorant l’essence du personnage :

« C’est comme si les sentiments étaient sur une guitare et que chaque corde représentait des sentiments. À chaque fois qu’on recherche une émotion, on doit jouer sur la bonne corde. Par exemple, si le personnage doit pleurer, on doit se remémorer une scène de notre existence qui appelle nos larmes les plus sensibles. Ce sont des vraies larmes que nous offrons au public, on dépasse l’idée même du jeu. Le personnage renvoie une partie extrêmement intime de nous, et cela même s’il ne nous ressemble en rien ou ne vit pas les mêmes évènements que nous. Pour l’instant, je ne suis pas encore père. Mais, je pourrais jouer la paternité sur scène en m’inspirant notamment de mon rapport à mes élèves, sentiment qui se rapproche du fait d’être père. »

Dans sa carrière d’acteur, Erwan joue des personnages qui ne lui ressemblent pas, tout en le ramenant à certaines joies et certaines failles de son existence. Rôles de flics, notamment dans Asphaltes de Baptiste Sibony, (une profession qu’il avait envisagée par le passé), de « psychopathes » comme dans The Game is over, du même réalisateur, il se glisse dans tous les costumes, n’hésitant jamais à faire de la construction d’un personnage un moyen de réfléchir sur lui-même. 

« Ma carrière prend un tournant avec Erectus, de Vincent Dubar, nominé aux Festivals de Clermont-Ferrand et de Nice en 2012. Vincent était un vieil ami, devenu réalisateur, et dans une période où je ne croyais plus en moi, il m’a permis de réintégrer le milieu, d’abord en l’aidant pendant les castings, puis en jouant dans le film. »

Erectus est une dystopie où le chromosome Y a disparu. Seuls quelques hommes survivent sur Terre et ne peuvent avoir d’enfants, devenant ainsi des objets sexuels pour le plaisir des femmes. Ces derniers forment une communauté de résistants. Ce projet inspire Erwan pour l’écriture d’un prequel du court-métrage, Erectus Origins, qui raconterait les origines de la création de ce monde dystopique, passant derrière la caméra. Un exercice complexe auquel il se prête pour redéfinir sa créativité :

« Être acteur et être réalisateur, ce n’est pas la même chose. A force d’aller sur les tournages, j’ai commencé à avoir une autre vision des images, de leurs enchaînements, de leurs structures qui créent, en elles-mêmes, une histoire, des subtilités. »

Derrière la caméra : un nouveau regard sur le cinéma 

Erwan m’explique qu’il s’est lancé dans le montage de son court-métrage Just Like Me, tourné en 2019 à Gargas, où il joue également. Il s’agit de la concrétisation d’une première ébauche d’un projet nommé Seul qui sera modifié par la co-scénariste du projet. Le scénario est simple : un influenceur part en voiture dans la forêt pour faire des stories à sa communauté. Malheureusement, il glisse et tombe dans un ravin, se blessant grièvement à la jambe. Enfermé dans ce gouffre où règne le silence, il est confronté au propre vide de sa vie faite d’apparences. Comparé au film Into the Wild, Just Like Me pousse la réflexion de l’impact des réseaux sociaux sur notre vie et sur ce que nous en faisons : 

« Le thème de la solitude est très important pour moi. J’ai lu un poème de Rimbaud, “Le Dormeur du val”, et j’ai imaginé cet homme, au milieu de la nature, blessé, presque mort. Dans notre génération, il n’est pas un soldat. Il est perdu dans une autre guerre : celle de l’illusion. Même si les réseaux sociaux sont de magnifiques outils de communication, ils renforcent notre solitude par l’idéalisation du monde qu’ils créent indirectement. »

Transmettre : un tout autre art

Mais alors, comment a-t-il utilisé cette expérience devant et derrière la caméra en tant que professeur, d’abord à l’Acting International depuis 5 ans, puis dans son propre projet I Can Act ? 

« Un jour, je sortais d’une réunion, et j’ai vu un panneau “Il est temps de changer de vie”. Tout artiste transmet naturellement par son art. J’avais envie de transmettre différemment, cette fois-ci par mon expérience. Des professeurs ont changé ma vie et ma vision du théâtre et du cinéma. J’aimerais rendre hommage à leurs précieux enseignements. »

Erwan fait notamment référence à Marius Gottin, dramaturge, écrivain et acteur martiniquais, auteur de Wopso (1996) à qui il avait demandé : « Comment fait-on pour être acteur ? ».

« Marius m’a répondu qu’on peut être tout ce qu’on souhaite, il suffit de l’incarner. Lorsque tu décides de devenir comédien, tu le seras avant même de jouer. Nous avons un grand pouvoir créateur, nous sommes tous écrivains de notre vie.Je crois, donc j’agis. »

C’est cette ligne directrice qui définit son projet I Can Act où il suit des jeunes comédiens prometteurs dans leurs parcours en alliant technique et développement personnel pour leur apprendre à mieux se connaître, à se rapprocher de leurs émotions afin de jouer le plus naturellement possible, être proche de leur vérité. 

L’entretien touche à sa fin. Et, je souhaitais, à mon tour, faire un clin d’œil à un exercice “phare” d’Erwan lors du stage que j’avais fait à l’Acting International : l’exercice des + 10 ans qui permet de se projeter et de faire le bilan, plus tard, sur notre avancée personnelle.

« Dans dix ans, et sans surprise, je me vois encore dans le cinéma. C’est comme si je réalisais métaphoriquement le film de ma vie, au quotidien, dans tout l’amour que je donne à cet art. Je me vois réaliser davantage de longs-métrages, jouer aussi, mais surtout transmettre à travers l’enseignement à mes élèves. Ce métier mérite d’être transmis dans sa force la plus pure, loin de l’image superficielle qu’on peut en avoir. Mais, évidemment, dans dix ans, je me vois avoir transmis peut-être le plus beau film à créer : la vie. »