Je respire sous la pierre est une édition bilingue d’un recueil de poèmes d’Atieh Attarzadeh où le persan originel dialogue avec une traduction française précise et envoûtante ; ce bilinguisme conserve cependant l’âpreté et la musicalité de l’œuvre, tout en nous la rendant intacte, lisible, imaginable. Le recueil puise alors dans la mémoire collective d’un Moyen-Orient dévasté, où l’Iran, les guerres et leurs héritages hantent chaque vers. Les noms de Bagdad, de l’Euphrate ou des civilisations anciennes inscrivent cette poésie dans une géographie traumatisée, tout en affirmant une résistance universelle face à la destruction.

Atieh Attarzadeh forge, avec Je respire sous la pierre, une poésie où le quotidien rencontre le mythe, où la douleur est à la fois personnelle et collective. Les poèmes transpercent alors la page pour inscrire dans le corps des mots d’une violence crue car terriblement authentique. La guerre, omniprésente en toile de fond et au cœur des mots, envahit tout : « La guerre est dans ton sang, dans la balle et la poudre. » Le langage poétique est alors dépouillé de répit à mesure que la guerre infiltre l’attente et les respirations de la voix poétique : « Dans ton attente du bus. » De fait, même les gestes anodins sont corrompus, saturés d’une tension latente car l’écriture d’Attarzadeh fait du quotidien un champ de bataille où la banalité devient insupportable.

La terre, dans cette œuvre, est matière nourricière et lieu d’enracinement, mais aussi mémoire, mémoire hantée par la violence des humains qui la piétinent. « Ici, la terre est l’héritière du sang, et non des os. » Cette déclaration bouleverse la conception classique de la transmission. Ce n’est pas dans la matérialité des os ou des traces visibles que réside la mémoire, mais dans une violence diffuse et persistante. Ce rapport à la terre s’étend jusqu’à une écologie de la disparition : « Les gouttes d’eau s’évaporent de la Terre. » L’évaporation des éléments vitaux devient une métaphore de l’effacement progressif des vies humaines. L’œuvre résonne alors comme une élégie collective : « Nous écoutons couler l’eau d’une rivière fantôme. » La perte ici sonne comme irréversible : même les vestiges se dissolvent dans une absence palpable sur les pages.

Ce n’est pas dans la matérialité des os ou des traces visibles que réside la mémoire, mais dans une violence diffuse et persistante.

Mythologie des corps brisés

Le recueil fait des corps des lieux de mémoire car ils portent les stigmates d’un héritage collectif. « Je suis l’ensemble de mes mères, des enfants non-nés et des baleines mortes », écrit-elle en décrivant une généalogie qui dépasse l’humain pour inclure l’animal, le mythique et le naturel : chaque être devient dépositaire d’une histoire universelle. Pourtant, cette transmission fait du temps de l’enfance, arraché par la guerre, un acteur de la collision avec une brutalité qui détruit avant même de permettre de vivre : « Nous n’avons pas eu le temps de grandir et de compter les dents de lait qui tombaient. » Les enfants, privés de leur temps, deviennent les victimes silencieuses d’un monde en guerre et la stupeur, elle, envahit tout : « Nos bouches devenaient vertes, non parce que nous faisions des bourgeons, mais parce que nous étions verts de stupéfaction. » Ce vert, qui devrait signifier la vie et l’espoir, devient ici une couleur de choc, une réaction physique à l’insupportable.

Ré(si)ster debout face à l’Humanité piégée dans ses cycles

La voix poétique devient porteuse d’une injonction à la résistance : « Reste debout là où tu es et transforme-toi en chêne. » Le chêne, figure d’enracinement et de puissance, oppose une stabilité presque inébranlable à l’instabilité de l’existence humaine. La révolte, quant à elle, prend également la forme d’un refus radical : « Du refus d’attendre dans la station de bus […] Du refus de rentrer à la maison. » Ces gestes anodins se muent en actes subversifs, défiant un ordre oppressif. Et même dans l’épreuve de la perte, la nécessité de se tenir debout persiste : « Cogne-toi sauvagement contre un point de la galaxie inexplorée. » L’image, à la fois violente et cathartique, exprime une urgence absolue ; celle d’affronter l’inconnu plutôt que de capituler.

La poésie, en réinventant le sacré à partir de ruines, redéfinit la mort elle-même.

La poésie dévoile alors une humanité prisonnière d’un cycle de violence immuable. « Le bronze a été découvert hier. Nous avons plongé la première épée dans la gorge du premier homme. » Dès l’origine, le progrès ...