Boualem Sansal, écrivain franco-algérien à succès, a été arrêté le 16 novembre à son arrivée à l’aéroport d’Alger en provenance de Paris. Cette arrestation a été confirmée par Algérie Presse Service (APS), l’agence de presse dépendant du ministère algérien de l’Information, le vendredi 22 novembre.
Les motifs de cette arrestation, communiqués par ce même média officiel, indiquent que le romancier, connu pour ses virulentes prises de position anti-islam, est accusé d’être un « relais de la propagande marocaine et sioniste ». Le conflit autour de la souveraineté du Sahara occidental oppose le Maroc, qui revendique la région comme partie intégrante de son territoire, au Front Polisario, soutenu par l’Algérie, qui milite pour l’organisation d’un référendum d’autodétermination en faveur du peuple sahraoui. Bien qu’un cessez-le-feu ait été conclu en 1991, le référendum promis n’a jamais été organisé, perpétuant ainsi les tensions dans la région.
Immédiatement après son arrestation, plusieurs voix littéraires et politiques en France se sont élevées pour demander la libération de Boualem Sansal.
Contexte judiciaire et accusations
Boualem Sansal avait critiqué le 2 octobre dernier, au micro de Frontières, un média d’extrême droite, la création par l’Algérie du Polisario et avait fait allusion à la marocanité historique de l’ouest de l’Algérie, un passage largement relayé au Maroc. En effet, Sansal est accusé d’atteinte à l’unité nationale. Il a donc été arrêté, placé en garde à vue, et il est en attente d’être présenté devant le procureur de la République, M. Djaaboub.
Pour rappel, Ihsane El-Kadi, fondateur de Maghreb Émergent et Radio M, connu pour son courage et son engagement a purgé environ 22 mois de prison avant d’être libéré le 1er novembre 2024 grâce à une grâce présidentielle. Bien que cette libération ait marqué un moment significatif pour la liberté de la presse en Algérie, Boualem Sansal fait face à une situation délicate. Le procureur chargé de son dossier, El-Hachemi Djaaboub, est connu pour ses sentiments hostiles envers la France. Selon le journal arabophone Ennahar, c’est El-Hachemi Djaaboub qui a été désigné comme procureur. Cela complique la situation pour Sansal, car M. Djaaboub alors ministre algérien du Travail, avait qualifié en 2022, la France d’« ennemie traditionnelle et éternelle ».
Débat sur la liberté d’expression
Cette arrestation suscite un débat intense sur la liberté d’expression et la justice en Algérie. Elle met également en lumière le manque d’indépendance du système judiciaire algérien, souvent perçu comme un outil de répression politique. Elle pose aussi la question des limites entre critique légitime et responsabilité légale, dans un contexte où la transparence judiciaire est contestée.
Au-delà des regards extérieurs, l’affaire Sansal divise profondément l’opinion publique algérienne. Tandis que certains justifient l’arrestation comme une mesure de protection de la sécurité nationale, d’autres y voient une nouvelle atteinte à la liberté d’expression et une manifestation de l’intolérance du pouvoir. Ce clivage met en évidence les fractures profondes au sein de la société algérienne, entre ceux qui aspirent à une plus grande ouverture démocratique et ceux qui privilégient la stabilité au détriment des libertés individuelles.
L’Œuvre controversée de Sansal
Très controversés, les livres et les articles de Sansal ont toujours suscité de vives polémiques, en particulier Le Village de l’Allemand, où il fait le lien entre le nazisme et l’islamisme, et l’article « Gare au terrorisme à bas coût ! », tribune publiée dans Le Monde du 13 juillet 2016, où il compare « la bataille d’Alger en 1956 » à l’attentat terroriste de Nice. Sitôt édité, il y a eu une levée de boucliers en Algérie, à travers tous les médias du territoire algérien, pour exprimer un profond désaccord avec ce parallèle.
Très controversés, les livres et les articles de Sansal ont toujours suscité de vives polémiques
En Algérie, au sein du contexte culturel et politique propre au pays, l’œuvre littéraire de Boualem Sansal émerge comme une critique puissante à la fois sur le plan social et politique. Elle occupe le centre de nombreuses analyses qui explorent divers angles, tels que la question de la liberté d’expression, l’extrémisme religieux et les relations complexes entre l’État et la religion. Cette création dépasse la simple catégorisation de roman pour prendre la forme d’une mosaïque de réflexions profondes sur les défis complexes qui animent la vie quotidienne en Algérie.
Dans le panorama médiatique algérien, il est frappant de noter que Boualem Sansal opte pour des entretiens exclusivement accordés aux journaux francophones comme Liberté et El Watan. Cette approche suscite une observation intéressante : les médias arabophones semblent peu intéressés et préfèrent adopter une perspective négative envers l’auteur, le qualifiant de « marionnette utile » aux mains des intérêts occidentaux. Cette divergence d’opinions trouve même un écho parmi certains cercles d’écrivains et de journalistes algériens, qui partagent cette réticence et reprochent à Sansal d’embrasser une vision teintée d’occidentalisme excessif.
Réception en Algérie et en France
Chawki Amari, romancier algérien, critique ce qu’il appelle l’« auto-flagellation » de certains de ses pairs qui, selon lui, écrivent pour satisfaire un fantasme européen d’infiltration islamiste. Amari affirme que « le vrai courage est de tirer sur les puissants » et non de renforcer des visions alarmistes de l’islamisme en Europe. Il considère que certains auteurs, en se concentrant sur une prétendue invasion islamiste, manquent de courage en ne s’attaquant pas aux vrais puissants, qu’ils soient politiques, religieux ou autres.
Rachid Boudjedra, quant à lui, a exprimé des critiques sévères à l’encontre de Boualem Sansal dans son pamphlet Les contrebandiers de l’Histoire paru aux éditions algériennes Frantz Fanon. Il y accuse Sansal, ainsi que Kamel Daoud et Yasmina Khadra, de falsifier l’histoire nationale algérienne et de collaborer avec l’Occident. Pour Boudjedra, les prises de position et les écrits de Sansal ne sont que des tentatives de plaire aux puissances étrangères.
Il est essentiel de souligner que la presse arabophone en Algérie, ainsi que dans diverses localités, ne ménage pas ses critiques acerbes à l’égard de Sansal. Cette tendance à la critique s’est intensifiée à mesure que son œuvre a gagné en notoriété, attirant davantage l’attention. Les opinions et les évaluations émanant de cette presse se concentrent principalement sur les thématiques centrales de ses romans, considérées comme potentiellement préjudiciables à l’islam, ainsi que sur les relations amicales qu’on prête à l’auteur avec Israël, notamment suite à sa visite officielle à Jérusalem en 2012.
En France, l’anticipation de Sansal a également généré un certain engouement et des débats en raison de son traitement de sujets sensibles tels que la religion et son caractère totalisant. La réception de ses romans dans l’Hexagone a été influencée par des préoccupations liées à la laïcité, à la diversité culturelle et aux débats sur l’islam. Certains lecteurs ont pu y voir une critique de l’extrémisme religieux, tandis que d’autres ont pu interpréter l’œuvre comme une réflexion sur les dangers d’une société oppressante et uniformisée.
Cette situation dévoile les profondes tensions et les débats sur la liberté d’expression et l’indépendance judiciaire en Algérie
Si l’issue de cette arrestation reste incertaine, elle pourrait marquer le début d’un cauchemar judiciaire sans fin. Cette situation dévoile les profondes tensions et les débats sur la liberté d’expression et l’indépendance judiciaire en Algérie. Les développements à venir détermineront non seulement le sort de Sansal, mais aussi l’avenir des droits civils et des libertés individuelles dans le pays. Chacun retient son souffle, espérant une résolution juste et équitable, tout en se préparant à affronter les ramifications potentielles de cette affaire emblématique.