Entre catastrophe écologique et accélération technologique, De quel progrès avons-nous besoin ? de Bruno Markov explore les dilemmes d’une Anthropocène prise au piège de ses propres contradictions. À travers le parcours de Pascal, un décideur tiraillé entre rationalité individuelle et absurdité collective, l’auteur propose une analyse lucide des dogmes qui nous enferment.
« Le fonctionnement de nos sociétés repose sur l’hypothèse d’une croissance infinie. Si ces exponentielles s’arrêtent, tous les mécanismes de l’économie se grippent : inflation, taux d’intérêt, investissement, dette, services publics… ». Markov commence par poser le cadre de son analyse pénétrante sur la discordance du progrès moderne : le futur, tel qu’il se dessine, est marqué par une double dynamique. D’un côté, le réchauffement climatique, l’effondrement des écosystèmes et la crise des ressources ; de l’autre, une poussée technologique incarnée par l’intelligence artificielle et l’homme augmenté. Ces deux forces, loin de se compenser, s’amplifient mutuellement dans un jeu pervers qui aggrave la polycrise actuelle.
En s’appuyant sur le personnage de Pascal, Markov nous fait vivre ces ultimatums de l’intérieur. Pascal, expert en stratégie et innovation, anticipe toujours les grandes tendances, des énergies renouvelables à l’intelligence artificielle. Visionnaire, il conseille chefs d’État et dirigeants. Présenté comme un « parieur de l’avenir », chaque décision qu’il prend repose sur des projections soigneusement calculées. Pourtant, ces calculs sont enfermés dans les règles d’un système économique et technologique où « accélérer » semble toujours plus rationnel qu’« atterrir ». Cette tension, que Markov illustre par la m étaphore de l’avion, est au cœur de son propos : comment freiner sans s’écraser dans un monde obsédé par le développement ?
« Pascal sait que le premier à s’engager vers l’atterrissage perdra en compétitivité par rapport à ses concurrents, qui, à coup sûr, s’engouffreront dans cette brèche pour gagner des parts de marché ou de l’attractivité auprès des investisseurs. Quand bien même Pascal ne se laisserait pas intimider et repenserait son modèle économique afin que son chiffre d’affaires soit indexé sur la santé des écosystèmes dont il dépend, cela n’aurait qu’un impact infime tant que sa chaîne de valeur, ses clients et fournisseurs, les clients de ses clients, les fournisseurs de ses fournisseurs, etc ».
Comment freiner sans s’écraser dans un monde obsédé par le développement ?
Les « verrous systémiques » : un piège conceptuel
Un des apports majeurs du livre réside dans son exploration des « verrous systémiques », ces mécanismes qui enferment les individus et les institutions dans des choix collectivement destructeurs. Markov utilise ici le principe du « dilemme du prisonnier » issu de la théorie des jeux : même si atterrir, ralentir la croissance ou repenser les priorités serait rationnel à l’échelle globale, les acteurs isolés, comme Pascal, sont contraints d’accélérer par peur de perdre leur compétitivité.
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