Zone Critique était au Monfort pour continuer à expérimenter le théâtre à huis-clos, autour de Buster Keaton, la dernière création de Marcial di Fonzo Bo et Elise Vigier.
Théâtre et cinéma
Après M comme Méliès, récompensé du Molière de la meilleure création Jeune Public en 2019, Marcial di Fonzo Bo et Elise Vigier, le tandem artistique à la tête de la Comédie de Caen, continuent leur exploration des magiciens du grand écran, en mettant en avant la figure reconnaissable parmi toutes – jeune homme longiligne au regard mélancolique portant costume et canotier – de Buster Keaton. Légende du cinéma burlesque au même titre que Charlie Chaplin (quoique moins connu), Keaton demeure dans l’imaginaire collectif cet extraordinaire cascadeur qui ne souriait jamais. En s’attaquant à la vie et l’œuvre de cet étonnant personnage et génial artiste, le spectacle, qui s’adresse toujours à un public de tous âges, nous plonge à la fois dans l’Amérique du début du XXème siècle et dans ce monde du spectacle et de l’illusion qu’est le burlesque.
Dans un décor imposant et évolutif, l’équipe de comédiens et comédiennes dynamiques interprètent de multiples personnages, de la famille Keaton, artistes itinérants qui utilisaient leur fils Joseph (futur Buster) sur scène comme un accessoire, balancé en l’air et contre les murs, ce à quoi il survivait grâce à un prodigieux don pour la chute, à l’illusionniste Houdini qui stupéfiait l’Amérique en se libérant par magie de toutes les entraves, camisoles de force et autres malles remplies d’eau, en passant par une galerie de figures comiques : policiers, acteurs, producteurs… Entrecoupée de passages narratifs et d’extraits de films, la pièce déploie un assemblage de scènes inspirées des chefs-d’œuvre de Keaton, de la locomotive du Mécano de la Générale à la maison qui tombe de Steamboat Bill Jr.
La mécanique entravée
Il nous manque le sentiment de prise de risque incroyable des cascades les plus spectaculaires de l’homme qui ne riait jamais.
Cependant, malgré l’énergie de la troupe, il est difficile de retrouver dans les situations qui se déroulent sous nos yeux le charme et l’ébahissement qui nous saisissent en découvrant les aventures de Buster Keaton. On s’efforce, comme le souhaite le metteur et la metteuse en scène, de regarder le spectacle avec un regard d’enfant, mais force est de constater que la magie n’opère pas ou peu. Face à cette construction à l’allure très calculée, il nous manque le sentiment de prise de risque incroyable des cascades les plus spectaculaires de l’homme qui ne riait jamais. Et en ce qui concerne le rire justement, il ne nous prend jamais autant qu’en voyant ou revoyant les extraits de films diffusés pendant le spectacle, qu’il s’agisse de Chaplin ou Keaton. Il n’y a guère que lors de la scène de la construction de la maison, où les comédiens tels des équilibristes s’amusent, littéralement, sur les planches, que la poésie propre à Buster, celle qui allie l’ordinaire et le fantastique, surgit enfin.
La poésie propre à Buster, celle qui allie l’ordinaire et le fantastique, surgit enfin.
Si le théâtre peut être, tout comme le cinéma burlesque ou la prestidigitation, le royaume de l’illusion, le Buster Keaton de Marcial di Fonzo Bo et d’Elise Vigier pâtit sans doute de trop nombreux effets de décors, et manque finalement un peu d’âme, pour véritablement nous emporter dans son monde. Peut-être le jeune public y découvrira cependant avec enthousiasme l’univers de Keaton. On en sort surtout avec le désir de revoir, si possible dans une salle obscure, les films de ce génie du cinéma muet, de s’ébahir et de rire à nouveau des improbables situations et impressionnantes cascades du longiligne jeune homme au regard mélancolique.
- 18 au 21 mai, TNB, Rennes
- 2, 3 juin, Grand Théâtre de Lorient-CDN”e
- 8, 9, 10 juin, Comédie de Caen – CDN de Normandie